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Valoriser une production agricole locale dans un pays émergent : l’exemple des Vergers du Mékong
Publié le
Jean-Luc Voisin Fondateur et directeur général Les Vergers du Mékong


Secteur Privé & Développement #31 - L'agro-industrie, un levier pour le développement. À quelles conditions ?
Ce numéro de Secteur Privé & Développement s’attache à démontrer que l’agro-industrie, si elle évoque parfois « des externalités négatives affectant l’environnement et les petits producteurs », peut constituer un formidable levier pour le développement.
En favorisant la production de fruits, café et thé des petits agriculteurs du Vietnam, ensuite transformée localement en produits à forte valeur ajoutée, la société Les Vergers du Mékong permet d’assurer une rentabilité tout en permettant aux producteurs locaux de stabiliser les revenus familiaux et d’éviter un exode rural.
Dans le secteur de l’agro-alimentaire et dans le contexte des pays en développement, il arrive souvent que l’on soit confronté à des projets inadaptés, voués à l’échec, à des dépenses publiques inutiles, à des produits qui ne correspondent pas aux besoins du consommateur ou qui laissent de côté tout un pan de la population – notamment celle qui vit en milieu rural. Il est donc impératif de trouver d’autres façons d’entreprendre, qui conjuguent à la fois aide au développement et « business ». Une entreprise agro-alimentaire privée, à but commercial et lucratif, doit pouvoir répondre de près aux attentes des consommateurs, tout en commercialisant des produits sains, dans le respect de l’environnement et des communautés locales. C’est cette ambition qui est à l’origine de la création en 2000, au Vietnam, de la société Les Vergers du Mékong, spécialisée dans la transformation de fruits, de café et de matières agricoles locales.
Un constat et une saisie d’opportunité
En 1998, le Vietnam s’ouvre tout juste aux investissements étrangers. Une formidable énergie se dégage du pays, particulièrement à cette époque-là – alors que son potentiel agricole et le savoir-faire des populations ne sont plus à démontrer. Dès 1995, un programme de production de café avait été lancé sur les hauts plateaux du Vietnam, ce qui avait attiré l’attention des Cafés Folliet, un torréfacteur français. L’étude de faisabilité pour la mise en place d’une société de transformation de fruits est, elle, réalisée en 1998. Les deux productions – café et fruits – étant commercialement complémentaires dans ce contexte, Cafés Folliet devient le principal partenaire de la société Les Vergers du Mékong, qui nait officiellement en 2000. Dès la fin de cette même année, la petite usine produisait les premiers jus de fruit, cafés torréfiés et confitures artisanales pour le marché local.
Un pays adapté aux productions agro-alimentaires
Le delta du Mékong est un espace géographique très fertile et très peuplé : il compte 18 millions d’habitants pour 40 000 km2. Un paysan exploite en moyenne trois hectares – qui lui ont été remis au début des années 1990 lors de la nouvelle politique d’ouverture et la fin du collectivisme. Ces petites fermes restent un modèle de développement intégré avec une production très diversifiée et écologique. Dans cet immense jardin tropical, tout autour de ses parcelles de riz, le paysan plante quelques arbres fruitiers. Cette « filière fruit », née en moins de vingt ans, est devenue le meilleur soutien financier aux petites exploitations. Plus de cinq millions de tonnes de fruits, issus de nombreuses variétés différentes, sont maintenant produites tout au long de l’année dans le pays – dont la moitié dans le delta du Mékong. Grace à un revenu par hectare souvent multiplié par deux ou trois par rapport au riz, le producteur de fruits peut alors éviter l’exode rural, rester sur sa ferme et nourrir sa famille. C’est dans ce contexte que Les Vergers du Mékong se sont engagés localement auprès d’une communauté de paysans. Entre 2000 et 2018, le partenariat est passé progressivement de quelques producteurs et collecteurs fidèles, à plus de 2000 fermes familiales partenaires, pour un volume de plusieurs milliers de tonnes de fruits traités chaque année et plus de 25 fruits ou légumes différents.
Circuit court et économie circulaire
Dès son lancement, la société a ciblé les segments de l’hôtellerie et de la restauration avec des jus et confitures commercialisés sous la marque « Le Fruit », avant d’étendre son offre aux cafés et, plus tard, au thé, sous la marque « Folliet ». Afin de lutter contre les produits d’importation et face à un système de distribution inexistant dans le pays, le management a opté pour le principe « de la fourche à la fourchette », afin de supprimer les intermédiaires et être proche du client. Afin d’assurer la qualité et la disponibilité des produits pour son usine de transformation, le département agricole de l’entreprise, composé d’agronomes et de techniciens, est engagé sur trois axes majeurs. Premièrement, la contractualisation avec des petits producteurs et la formalisation d’une relation de long terme, permettant de garantir toute l’année des prix stables et sensiblement supérieurs aux cours mondiaux. Différents partenariats sont possibles entre la société et les producteurs (rachat de tout ou partie de la production, location de vergers où la société assure l’intégralité de la production et le fermier se limite au gardiennage, etc.). La durée du contrat est avant tout liée à la confiance établie entre les deux parties (certains producteurs sont des fidèles depuis 2000). Deuxièmement, le déploiement des meilleurs standards agricoles possibles avec la mise en place de mesures d’accompagnement des producteurs, afin de garantir l’usage des meilleurs semences et intrants, et valoriser les déchets pour créer un composte qui se substitue aux engrais chimiques. La mise en place de ces exigences permet progressivement le déploiement des standards Global Gap (the Worldwide Standard for Good Agricultural Practices), tandis que la numérisation du processus de production – via des applications sur smartphone pour l’enregistrement des données agricoles – rend les contrôles particulièrement efficaces. Troisièmement, l’organisation logistique puisque la géographie du Vietnam génère un enjeu important, le pays étant long de 2000 km et bordé par la mer du Nord au Sud. Il a fallu structurer un système de collecte et de transport frigorifique multimodal (bateaux, camions), dans un contexte local où l’acheminement des fruits génère traditionnellement plus de 30 % de perte. Pour maitriser davantage la chaîne de valeur, la société a créé son propre réseau de commercialisation, avec des agences à chaque point stratégique (cinq au Vietnam et une au Cambodge).
Cette organisation intégrée a permis aux Vergers du Mékong d’enregistrer une croissance continue et soutenue depuis 2004, pour finalement s’attaquer au segment « distribution » et servir un nombre important de grandes surfaces et magasins de proximité que compte le Vietnam.
Un bilan et des projets
En 18 ans, Les Vergers du Mékong sont devenus le leader de leur secteur sur le marché local avec des marques propres reconnues. Les clients historiques de l’entreprise – les chaines hôtelières – l’ont amené tout naturellement vers l’exportation : des distributeurs se font le relais des marques à Dubaï, Singapour, Kuala Lumpur, Séoul, etc. La consommation des produits de la société dans les hôtels les plus prestigieux de la région est une vraie reconnaissance pour les 170 employés des Vergers du Mékong. Face aux menaces de changement climatique, qui peuvent concerner tout particulièrement le delta du Mékong, l’entreprise a d’ores et déjà commencé à mettre en place une filière fruit plus en amont sur le fleuve, au Cambodge, avec l’établissement dans un premier temps d’une ferme expérimentale. En parallèle, une filière « bio » est mise en place pour toujours être au plus près des préoccupations des consommateurs. Les Vergers du Mékong poursuivent leur croissance en continuant d’innover.