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Regrouper des brevets pour améliorer l’accès au médicament et promouvoir l’innovation en Afrique

Publié le

Erika Dueñas Directrice de la politique et de la représentation Medicines Patent Pool

Secteur Privé & Développement #28 - Le médicament en Afrique : répondre aux enjeux d'accessibilité et de qualité

L’accessibilité à des médicaments de qualité doit encore faire face à de nombreux défis sur le continent africain. Ce 28ème numéro de la revue Secteur Privé & Développement tente d’apporter des pistes de solution.

Les licences orientées « santé publique » et le regroupement de brevets favorisent en Afrique la recherche et la production de traitements génériques abordables et de grande qualité contre le sida, l’hépatite C et la tuberculose.

Les Objectifs de développement durable des Nations unies soulignent la nécessité d’améliorer l’accès à des médicaments indispensables, de bonne qualité, sûrs, efficaces et abordables pour tous – ce qui constitue un défi majeur de santé publique en Afrique. Trois maladies ont un impact particulièrement important sur le développement social et économique du continent : le sida, l’hépatite C et la tuberculose. Il y aurait 26,6 millions de personnes vivant avec le VIH en Afrique ; beaucoup d’entre elles contractent la tuberculose, qui demeure la principale cause de mortalité chez les personnes séropositives (OMS, 2016). Il y aurait 2 720 000 nouveaux cas de tuberculose chaque année sur le continent africain (OMS, 2017). Concernant l’hépatite C – et malgré les nouveaux antiviraux à action directe qui permettent d’atteindre un taux de guérison de plus de 90 % –, seulement 6 % environ des malades africains ont été testés pour ce virus et seulement 2 % des personnes diagnostiquées ont commencé le traitement (OMS, 2017). Ces maladies pèsent sur les programmes de santé publique.

Pour favoriser l’accès aux traitements, la communauté internationale – en particulier à travers l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – encourage désormais des pratiques innovantes orientées « santé publique ». C’est par exemple le cas des licences volontaires et du regroupement de brevets, des outils sur lesquels Medicines Patent Pool a fondé sa démarche.

 

Licences volontaires et regroupement de brevets

Le Medicines Patent Pool (MPP), établi en 2010 avec le soutien financier d’UNITAID, vise à favoriser l’accès aux nouveaux médicaments dans les pays à revenus moyens et faibles, via l’octroi de licences volontaires et par le regroupement de brevets . Le MPP négocie avec les détenteurs de brevets des accords de licences sur les médicaments concernant le sida, l’hépatite C et la tuberculose. Ces licences permettent aux producteurs de génériques de fabriquer et de distribuer des médicaments brevetés dans les pays en développement. Elles permettent également de développer de nouveaux traitements et des formulations adaptées aux personnes contaminées.

 

Comment fonctionne le Medicines Patent Pool

Le modèle développé par MPP (Figure) concerne tous les acteurs du secteur. Les détenteurs de brevets autorisent leur utilisation dans les régions à faibles ressources et peuvent même espérer toucher des royalties en compensation. Les fabricants de génériques produisent de nouveaux médicaments abordables plus facilement et plus rapidement. Les bailleurs et les gouvernements des pays développés peuvent consacrer une part plus importante de leur budget à soigner leur population. Et les personnes contaminées par le sida, la tuberculose et l’hépatite ont accès plus rapidement aux médicaments dont ils ont besoin, à des prix abordables. Les conditions générales des contrats de licence passés avec MPP, orientées « santé publique », cherchent à améliorer les traitements pour le plus grand nombre possible de personnes vivant dans les pays en développement. Les clauses stipulent notamment que l’autorisation doit porter sur une large zone géographique, que les licences accordées ne sont pas exclusives – ce qui encourage une compétition entre producteurs de génériques, synonyme de baisse des prix –, qu’elles doivent être compatibles avec les flexibilités prévues sur le droit de la propriété intellectuelle lorsqu’il s’agit de santé publique ; que des exemptions en matière de protection de l’exclusivité des données peuvent y être intégrées. Enfin, ces contrats doivent rendre possible la publication des informations sur les brevets d’une entreprise et une réelle transparence ; ainsi, l’intégralité des textes des licences est publié sur le site de MPP.

L’engagement des entreprises pharmaceutiques de travailler avec MPP a été crucial pour améliorer l’accès aux nouveaux médicaments contre l’hépatite C et le sida. À ce jour, MPP a signé des accords avec neufs détenteurs de brevets ; cela concerne douze antirétroviraux contre le VIH, deux antiviraux à action directe contre l’hépatite C et un traitement contre la tuberculose. Il a par ailleurs accordé des sous-licences à une vingtaine de fabricants et de concepteurs de génériques qui développent, produisent, déclarent et fournissent des médicaments à moindre coût. Les producteurs de génériques partenaires de MPP ont ainsi distribué l’équivalent de 12,9 millions d’années-patients en médicaments recommandés par l’OMS pour combattre le VIH, l’hépatite C et la tuberculose, et ce dans 131 pays (MPP, 2016).

 

Assurer un accès à des médicaments de qualité en Afrique

Les licences de MPP permettent aux fabricants de génériques de produire des antirétroviraux brevetés (ARV), recommandés par l’OMS pour les traitements de première et deuxième lignes . Tous les pays d’Afrique subsaharienne sont inclus dans les licences de MPP, qui concernent également de nouveaux ARV prometteurs, susceptibles de jouer un rôle clé dans les traitements du futur. MPP travaille avec ses partenaires industriels pour que les médicaments les plus récents contre le VIH – comme le dolutégravir et le ténofovir alafenamide –, soient rapidement disponibles dans les pays en développement (Burrone et Perry, 2015). La présence de conditions générales orientées « santé publique » est une des caractéristiques majeures des licences de MPP. L’Indice d’accès aux médicaments (Access to Medicine Index) qui analyse les engagements de vingt des plus grandes entreprises de recherche pharmaceutique de rendre les médicaments, vaccins et diagnostics plus accessibles, a reconnu que les conditions générales des licences de MPP facilitent l’accessibilité aux traitements (Access to Medicine Index, 2017). MPP gère actuellement, avec des industriels du secteur, plus de cent projets pharmaceutiques visant à accélérer la disponibilité des versions génériques de bonne qualité des nouveaux traitements.

 

Faciliter l’innovation : l’expérience de MPP

Les licences de MPP permettent de développer de nouveaux traitements comme les associations à dose fixe – une seule pilule réunissant plusieurs médicaments – et des formulations adaptées aux enfants.

Les licences accordées par plusieurs entreprises pharmaceutiques via MPP ont permis le développement d’une nouvelle association à dose fixe pour le traitement de première ligne du sida – à savoir la combinaison de ténofovir disoproxil fumarate/lamivudine/dolutégravir – qui a été approuvée par la Food and Drug Administration américaine en août 2017. Il s’agit d’une nouvelle combinaison qui devrait révolutionner le traitement du sida dans les pays les plus touchés par l’épidémie, comme ceux d’Afrique subsaharienne. Comme de nombreux industriels travaillent sur le développement de ce nouveau traitement, il est probable qu’il sera non seulement plus efficace et mieux toléré, mais qu’il sera aussi disponible à un prix plus abordable que les traitements de première ligne utilisés actuellement. MPP cherche également, avec ses partenarires, à mettre au point de nouveaux traitements pour lutter contre les souches multirésistantes de la tuberculose. Récemment, l’OMS (OMS, 2017) et la commission « Essential Medicines » du journal The Lancet (The Lancet, 2016) préconisent que le modèle de regroupement des brevets mis en place par MPP soit étendu à tous les médicaments essentiels faisant l’objet de brevets. L’utilisation de licences orientées « santé publique » et le regroupement de brevets peuvent jouer un rôle majeur dans la capacité d’innovation du secteur et dans l’amélioration de l’accessibilité des médicaments – répondant ainsi aux besoins des pays africains touchés par les épidémies de sida, de tuberculose et d’hépatite C. Le modèle de MPP a fait ses preuves contre ces maladies et pourrait potentiellement faciliter l’accès aux médicaments pour d’autres types de maladies. MPP est unique dans la façon dont il établit des partenariats avec toute une série d’acteurs de santé publique, notamment l’industrie pharmaceutique. Sa réussite dépend d’ailleurs directement de sa capacité à nouer des partenariats, autant avec les entreprises détentrices de brevets qu’avec les producteurs de médicaments génériques. MPP fournit par ailleurs un cadre utile pour faciliter les innovations visant à répondre aux besoins en formulations spécifiques des pays en développement.

 

Références

Organisation mondiale de la santé, 2016. Disponible sur Internet : http://www.who.int/hiv/data/en/

Organisation mondiale de la santé, 2017. Disponible sur Internet : http://www.who.int/tb/publications/global_report/en/

Organisation mondiale de la santé, 2017. Rapport global sur l’hépatite 2017. MPP, 2016, Expanding for Better Treatment Options, Rapport annuel 2016. http://medicinespatentpool.org/annual/2016/ Burrone, E. et Perry, G., 2015. Ensuring new medicines reach those in most need. Lancet HIV, 09/2015.

The Access to Medicine Index, 2017. https://accesstomedicineindex.org/

Organisation mondiale de la santé, 2017. Submission to the UN SG High Level Panel on Access to Medicines.

Disponible sur Internet : https://static1.squarespace.com/static/562094dee4b0d00c1a3ef761/t/56e746279f7266a586c2b893/1457997352055/l’OMS_HLP_Submission_7Mar2016.pdf The Lancet, 2016. Commission “Essential Medicines”.

Disponible sur Internet : http://www.thelancet.com/commissions/essential-medicines.