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A quelles conditions les labels servent-ils le développement ? L’exemple du café
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Secteur Privé & Développement #31 - L'agro-industrie, un levier pour le développement. À quelles conditions ?
Ce numéro de Secteur Privé & Développement s’attache à démontrer que l’agro-industrie, si elle évoque parfois « des externalités négatives affectant l’environnement et les petits producteurs », peut constituer un formidable levier pour le développement.
Source de revenus pour 25 millions de producteurs dans le monde, la filière du café est confrontée à des enjeux sociaux et environnementaux qui lui ont valu d’être particulièrement investie par les certifications et labels associés à des améliorations sociétales. Elle constitue donc un terrain privilégié pour aborder la question des impacts de ces initiatives sur les conditions de vie des producteurs et sur l’environnement.
En ce début de XXIème siècle, l’histoire du café est d’abord celle d’une success story marketing à l’échelle de la mondialisation : plus de deux milliards de tasses de café sont consommées chaque jour, pour un chiffre d’affaires d’environ 200 milliards de dollars par an. Ces 20 dernières années, le succès des capsules et dosettes a permis aux leaders historiques du secteur de revaloriser significativement leurs ventes : la valeur ajoutée créée en France par les torréfacteurs et les supermarchés a ainsi plus que doublé entre 1994 et 2017 pour atteindre 2,6 milliards d’euros.
Cette création de richesse supplémentaire bénéficie tout d’abord aux 3 multinationales (Nestlé, JDE et Lavazza) qui concentrent désormais 81 % des ventes – un pourcentage qui n’était « que » de 70 % il y a 10 ans. L’aval de la filière se caractérise ainsi par une concentration croissante qui touche également les négociants, dont les cinq principaux géraient en 2013 presque 40 % des échanges mondiaux. En découle une asymétrie de pouvoir toujours plus importante en faveur des torréfacteurs et des traders qui affaiblit la capacité de négociation des producteurs et explique pour partie l’absence de ruissellement de la valeur économique le long de la chaîne de valeur. A 20 ans d’intervalle, les torréfacteurs et les distributeurs ont ainsi retiré 1,2 milliard d’euros supplémentaires de leurs ventes annuelles de café en France, contre 64 millions d’euros supplémentaires pour les producteurs et les négociants. Sur cette même période, le revenu capté par les pays de production est passé de 24 % de la valeur finale d’un paquet de café, à 16 %.
Des impacts sociétaux croissants, aggravés par le changement climatique
Or la plupart des caféiculteurs subissent actuellement une dégradation de leurs conditions de vie et de travail. Confrontés à des chutes régulières des cours mondiaux du café et à une augmentation des coûts de production liée aux coûts de main d’œuvre et des intrants, dépendants de leurs acheteurs, ils souffrent également d’un manque critique de trésorerie. A titre d’exemple, les producteurs péruviens et éthiopiens ont touché en 2017 un revenu 20 % plus faible que 12 ans auparavant une fois ajusté de l’inflation, ce qui les maintient en-dessous du seuil de pauvreté (voir figure). Résultat : on observe dans les familles qui cultivent le café des problèmes de malnutrition, d’analphabétisme, voire de travail des enfants, leur paupérisation alimentant à une échelle plus large des phénomènes de migrations ou de trafic de drogue. Autres tendances inquiétantes, la hausse des pollutions environnementales liées à l’utilisation d’intrants chimiques, et la déforestation associée à l’expansion de la caféiculture et à l’intensification des pratiques agricoles. Ces évolutions ont lieu dans un contexte d’impacts croissants du changement climatique sur la production de café, en particulier d’Arabica : les rendements et la qualité des récoltes sont régulièrement affectés, avec une augmentation des coûts de production et une dégradation des revenus des producteurs.
Des alternatives nombreuses… aux résultats variables
La question de la durabilité de la filière du café est donc posée. Même si elle a été l’une des premières à faire l’objet de démarches de labellisations (pour garantir de meilleures conditions de vie et de travail pour les producteurs ou le respect de critères environnementaux), 10 % seulement du café produit est actuellement certifié et les résultats sur le terrain sont variables . Dans le secteur du café, les principaux cahiers des charges sociaux et/ou environnementaux sont ceux de l’agriculture biologique, du commerce équitable (Fairtrade International, le « Símbolo de los Pequeños Productores », « Fair For Life », etc.), et des labels « durables » développés par Rainforest Alliance et UTZ Certified (qui ont fusionné en 2018). Il existe également des standards privés internes aux entreprises comme le cahier des charges 4C, AAA de Nespresso ou C.A.F.E. Practices de Starbucks. Les principes et les garanties associés à ces initiatives varient sensiblement : réduction des impacts environnementaux et respect des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT) pour les labels « durables » et démarches internes, prix minimum garanti, prime collective et principes d’organisation démocratique en complément des exigences précédentes dans le cas du commerce équitable, interdiction des pesticides pour l’agriculture biologique…
Du côté de la production, s’il est difficile d’objectiver les effets des démarches citées, il existe des études d’impacts sur l’agriculture biologique et le commerce équitable qui montrent une amélioration des revenus et des conditions de négociation des producteurs, ainsi qu’une atténuation des impacts sur l’environnement. Les labels « durables » et les cahiers des charges internes pâtissent d’un manque d’évaluation indépendante de leurs impacts (au-delà des cahiers des charges), ce qui empêche de statuer sur les retombées concrètes qui leurs sont attribuables. Du coté des consommateurs, la multiplicité des labels a tendance à complexifier les démarches d’achat responsable.
Quels leviers pour améliorer les impacts ?
La recherche existante permet néanmoins d’identifier des leviers clés qui permettent – ou permettraient – aux certifications et labellisations existantes de contribuer plus encore au développement des territoires ruraux et à la préservation de l’environnement. Tout d’abord, la question des revenus des producteurs et de la répartition de la valeur est centrale. La sous-rémunération est en effet à l’origine d’une grande partie des impacts sociaux (malnutrition, analphabétisation, exode rural, etc.) et environnementaux (utilisation d’intrants pour maintenir/augmenter la production et pallier les prix faibles) constatés. Le prix minimum fixé par le commerce équitable montre qu’il est possible, pour les acteurs des filières, de s’extraire de la logique internationale de formation des prix. En revanche, le commerce équitable ne parvient pour l’instant pas à peser sur la répartition de la valeur. Or, dans le cas du café, une meilleure répartition de la valeur permettrait à la plupart des producteurs de dépasser le seuil de pauvreté sous lequel ils restent bloqués.
Un autre enjeu réside dans la capacité des producteurs concernés à écouler la totalité de leur production certifiée aux conditions commerciales correspondantes, ce qui n’est souvent pas le cas faute de demande suffisante – dans le cas du commerce équitable par exemple, les deux tiers du café certifié sont vendus comme café « conventionnel ». Au-delà de l’augmentation des volumes vendus via des actions de sensibilisation des consommateurs et des acteurs économiques, il est nécessaire que les systèmes de certification intègrent de façon systématique : l’organisation collective (coopérative, association, etc.) qui offre les conditions d’une solidarité entre producteurs et bénéficie in fine à l’ensemble de la communauté ; la question de l’accès aux (pré)financements à certaines périodes de l’année, afin de pouvoir assurer les récoltes et l’entretien des parcelles. Les certifications et labellisations gagneraient également à penser leur articulation avec les politiques publiques de régulation, au niveau des pays de production et des pays de consommation, plutôt que de se positionner comme des systèmes autonomes destinés à pallier les défaillances actuelles des Etats, comme le posent certaines labellisations. A titre d’exemple, le rôle de l’Etat colombien, via la « Federacion National de Cafeteros » (FNC), dans le maintien des revenus des caféiculteurs, montre les effets de leviers possibles pour les pouvoirs publics et sur lesquels les alternatives pourraient capitaliser pour démultiplier leurs effets. Certaines associations entre certifications semblent renforcer les impacts de chacun des systèmes : associé à l’agriculture biologique, le commerce équitable obtient de meilleurs impacts sur les revenus et sur l’environnement. C’est ce qui a été constaté au Pérou par exemple, via la préservation du modèle agroforestier. Ces complémentarités devraient être davantage intégrées dans les stratégies de développement des initiatives. Enfin, les certifications et labellisations sociales et environnementales ont comme enjeu fort de mettre en place les conditions d’une transparence complète de leurs résultats et un contrôle indépendant des effets de leurs démarches. Cela pour renforcer l’adhésion de l’ensemble des parties prenantes (consommateurs, acteurs économiques, producteurs, institutions).
1 Labels équitables et durables certifiés par une tierce-partie indépendante. Les standards privés internes ne sont pas pris en compte dans ce total.
Auteur(s)
Sylvain Ly
Co-fondateur
Basic
