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Perspectives du capital-investissement en Afrique
Publié le
Jennifer Choi Chargée des activités extérieures EMPEA

Secteur Privé & Développement #12 - Le capital-investissement contribue-t-il au développement de l'Afrique?
Depuis une petite dizaine d’années, le capital-investissement a fait de l’Afrique subsaharienne un nouveau terrain de jeu. Pour cette région, c’est une formidable opportunité pour attirer de nouveaux investisseurs, qui confient leurs fonds à des équipes de gestion professionnelles et spécialisées. Pour de nombreuses entreprises de très grande taille ou en phase de création, c’est un moyen d’accéder non seulement à des fonds propres, indispensables à leur croissance, mais également à un accompagnement rapproché en matière de définition de leur stratégie, d’amélioration de leur gouvernance, et d’accès à des réseaux professionnels internationaux.
Le capital-investissement attire en Afrique des investisseurs de plus en plus diversifiés. Certes, les activités restent concentrées sur quelques marchés, des inquiétudes demeurent sur la solidité des équipes locales et les conditions de sortie restent difficiles. Mais une diversification est à l'oeuvre, l'attractivité de la région s'améliore et les prix sont réellement compétitifs.
Avec la perte de confiance dans le modèle occidental de rachat d'entreprises due à la crise financière, les portefeuilles des investisseurs se tournent davantage vers des opérations de capital-investissement sur les marchés émergents. Les risques accrus associés à l'ingénierie financière et la défiance croissante à l'égard du risque souverain incitent en effet de nombreux investisseurs à se tourner vers des marchés en forte croissance et peu exploités, comme l'Afrique subsaharienne. Le continent compte en 2010 six des 20 économies les plus dynamiques, avec des taux de croissance moyens de 5 % (contre 3 % sur les marchés de l'OCDE – FMI, 2011). Après avoir démarré en Afrique du Sud dans les années 1990 avec les cessions opérées par des multinationales et favorisées par les réformes postapartheid, les opérations de capital-investissement s'étendent progressivement au reste du continent, qui a vu l'arrivée de plus de 50 gestionnaires de fonds sur les 20 dernières années, chargés d'investir plusieurs milliards de dollars. Le capital-investissement reste malgré tout modeste dans la région, au regard d'autres marchés. Sa croissance s'est ralentie dans la phase la plus aiguë de la récente crise financière. Cependant, l'apparition ces derniers mois de plusieurs véhicules – de la stratégie de niche sur des marchés frontières à d'importants pools de capitaux internationaux gérés par des vétérans du secteur – laisse supposer une forte croissance à moyen terme en Afrique subsaharienne.
Le poids de l'Afrique subsaharienne
Comme sur les marchés développés, le capital investissement a connu une forte expansion en Afrique subsaharienne juste avant la crise financière. Les levées de fonds ont atteint six milliards de dollars entre 2006 et 2008 contre deux milliards de dollars entre 2000 et 2005 (EMPEA, 2011). Malgré cette forte progression, le secteur demeure modeste. L'Afrique subsaharienne a accueilli moins de 4 % des 159 milliards de dollars levés pour l'ensemble des marchés émergents entre 2006 et 2008, et moins de 0,5 % des 1 400 milliards de dollars levés dans le monde. Sur cette même période, le volume des investissements sur 47 marchés d'Afrique subsaharienne a atteint huit milliards de dollars contre 136 milliards pour l'ensemble des marchés émergents (dont 59 milliards pour la Chine, l'Inde et le Brésil). En 2010, l'Afrique subsaharienne a drainé 6 % du total des capitaux levés pour les marchés émergents : un record absolu – et cette croissance devrait se poursuivre (Figure 1).
Il faut noter toutefois que rapportée au produit intérieur brut (PIB), l'activité de capital-investissement en Afrique subsaharienne est comparable à celle des BRIC1. Elle est même supérieure à celle d'autres régions comme l'Amérique latine et l'Europe centrale et orientale. Ainsi, les opérations de capital investissement réalisées entre 2008 et 2010 ont représenté environ 0,17 % du PIB, contre 0,16 % pour la Chine et 0,10 % pour l'ensemble de l'Amérique latine (EMPEA, 2011).
Tendances des levées de fonds
Après avoir fortement baissé en 2009, les levées de fonds ont rebondi en 2010. L'attitude plus positive des investisseurs à l'égard de l'Afrique s'est traduite par des engagements significatifs. Les levées de fonds destinées à l'Afrique subsaharienne ont augmenté de 50 %, pour atteindre 1,5 milliard de dollars en 2010 grâce à quelques fonds régionaux. Le troisième fonds (clôturé à 613 millions de dollars en juillet 2010) d'un des vétérans du secteur, Emerging Capital Partners2, était à l'époque le plus grand fonds panafricain de capital-développement. Kingdom Zephyr Africa Management3 a recueilli 492 millions de dollars en février 2010 pour son deuxième fonds Pan African Investment Partners Fund, tandis que l'investisseur Aureos Capital a levé 381 millions de dollars en février 2010 pour son dernier fonds ciblé sur l'Afrique. La région attire désormais un groupe d'investisseurs de plus en plus diversifié ; l'importance des fonds levés pourrait même éclipser les niveaux atteints avant la crise. Sur les 900 millions de dollars levés en juin 2011 par les investisseurs panafricains Helios Investment Partners (le plus grand fonds panafricain de capital-investissement) 70 % ont été apportés par des investisseurs extérieurs aux institutions financières de développement (les soutiens traditionnels du capital-investissement en Afrique). Au printemps 2011, The Carlyle Group, société de capital-investissement d'envergure mondiale, a annoncé l'ouverture d'un fonds dédié à l'Afrique subsaharienne, avec un objectif d'engagements d'au moins 500 millions de dollars. Les sociétés de capital-investissement sud-africaines Ethos et Brait, à la tête de deux des fonds les plus importants en Afrique, devraient parvenir à lever des montants considérables dans les 12 à 18 prochains mois. De plus, plusieurs fonds plus ciblés et de taille plus modeste sont sur le marché et cherchent des investisseurs.
Tendances des investissements
Avec 48 opérations, l'activité a été en 2010 presque équivalente en volume à celle de 2008, même si elle a reculé de 54 % en valeur sous l'effet d'une chute des valorisations s'expliquant à la fois par un rapprochement entre les attentes des acquéreurs et celles des vendeurs et par la raréfaction du financement bancaire qui avait permis jusqu'alors des opérations de plus grande ampleur. L'opération la plus importante réalisée et rendue publique en Afrique subsaharienne en 2010 s'élève à 151 millions de dollars, contre 175 millions en 2008. L'activité reste concentrée sur une poignée de marchés. Si l'Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria accueillent 27 des 48 opérations réalisées en 2010, une diversification géographique est à l'oeuvre : alors que 56 % des opérations avaient été réalisées en Afrique du Sud en 2008, elles ne sont plus que 21 % en 2010 (EMPEA, 2011). Au cours des dix-huit derniers mois, les investisseurs en capital ont soutenu des sociétés au Bénin, au Congo, au Ghana, au Liberia, à Madagascar et en Tanzanie. Particulièrement bien adapté au contexte africain, le modèle du capital-investissement séduit une catégorie d'investisseurs de plus en plus internationale et diversifiée. Le capital-investissement offre une solution à des institutions qui auraient pu investir directement dans des entreprises mais en sont dissuadés par l'opacité des marchés. La plupart des marchés d'actions africains se concentrent sur quelques entreprises et quelques secteurs, en particulier financier et minier, avec une représentation très modeste des entreprises de taille moyenne. Or, celles-ci constituent un moteur de croissance fondamental pour la région, au coeur de la stratégie de la plupart des fonds de capital-investissement. Le secteur bancaire et celui de l'industrie extractive tiennent une place prééminente dans l'espace du capital-investissement. En 2010, toutefois, plus de la moitié des opérations ont été réalisées dans des secteurs comme les produits alimentaires et les boissons (par exemple Dewcrisp et Foodcorp en Afrique du Sud), la santé (clinique Snapper Hill au Liberia et hôpital pour femmes à Nairobi) et les médias et télécommunications (Wananchi Group au Kenya) – EMPEA, 2011. La maturation des actifs s'accompagne d'une spécialisation des stratégies des fonds et de l'apparition de stratégies de niche telles que l'agroalimentaire (Phatisa, Chayton Capital, Silk Invest Food Fund), les technologies propres et les énergies renouvelables (Inspired Evolution One Fund), la santé (Aureos Capital Health Fund) et les financements mezzanine (Vantage).
Perspectives et défis pour les investisseurs
Les recherches d'EMPEA sur l'intérêt des limited partners5 montrent que l'image de la région s'améliore : 67 % des limited partners interrogés jugent l'Afrique attractive en 2011 et 39 % prévoient d'investir ou de poursuivre les investissements dans des fonds subsahariens (Figure 2)
– Coller Capital et EMPEA, 2011. Toutefois des préoccupations demeurent quant à la profondeur du pool de gérants de fonds, mais aussi en ce qui concerne le risque politique. Les investisseurs sans exposition à la région ont indiqué dans les deux enquêtes Coller Capital et EMPEA de 2010 et de 2011 que le manque de gérants de fonds expérimentés était un frein à leurs investissements en Afrique (Tableau 1).
Pourtant, au cours des dix dernières années, le nombre de gérants de fonds actifs en Afrique a été multiplié par cinq. Selon les gérants de fonds, le déficit de capital humain – les professionnels capables de développer, sélectionner, structurer et exécuter les opérations – pèse sur leur capacité à saisir les opportunités qui se présentent. Le vivier de cadres qualifiés travaillant dans les sociétés en portefeuille reste modeste, en particulier en ce qui concerne les directeurs financiers. De plus, l'absence d'un solide réseau d'intermédiaires – conseillers, banquiers, courtiers et analystes – génère un important travail de recherche et d'évaluation. L'identification des entreprises susceptibles d'accueillir un investisseur en capital étant conduite en interne, le talent des gérants est d'autant plus important. Ceci étant, la crise financière pourrait inciter de nombreux professionnels africains formés en Occident à rentrer dans leur pays pour combler ce déficit. Les conditions de sortie du capital sont un autre obstacle à l'investissement. Hormis quelques introductions en bourse (essentiellement en Afrique du Sud), la majorité des sorties en 2009 et 2010 ont été réalisées par le biais d'une cession à une autre société industrielle. En 2011, les sorties restent peu nombreuses, quoique des signes d'embellie apparaissent. Parmi les exemples récents : l'introduction à la bourse de Johannesburg en juillet 2011 de Holdsport (distributeur d'articles de sport financé par Ethos) et la cession de la participation d'Aureos Capital dans le fabricant nigérian de biscuits Deli Foods au sud-africain Tiger Brands. Les transactions secondaires restent rares en raison du faible nombre d'actifs suffisamment matures pour des cessions entre investisseurs. Les gérants de fonds africains espèrent que l'écosystème se développe et se diversifie ; allié à une augmentation du nombre d'entreprises financées par des investisseurs en capital, cela permettrait davantage d'options de sortie – transactions secondaires comprises.
Anticipations des prix et des performances
Qu'elle résulte d'une pénurie de talents ou de conditions de sortie difficiles, la taille modeste du marché africain du capital-investissement a un effet positif sur la compétitivité des prix. Les actifs en Afrique subsaharienne – avec des multiples d'entrée de l'ordre de 8-9 contre des multiples à deux chiffres en Chine ou au Brésil – sont considérés comme d'excellentes opportunités par de nombreux investisseurs. Une hausse des prix est à prévoir, mais la plupart des gérants de fonds pensent que les bonnes affaires sont encore légion. Selon l'enquête Coller Capital et EMPEA de 2011, les investisseurs exposés à des actifs en Afrique subsaharienne anticipent des rendements plus élevés que ceux qui n'y sont pas présents. Cela laisse à penser qu'ils ont donc confiance dans les capacités de gérants expérimentés à anticiper et gérer les risques sur ces marchés. Bien qu'on ne dispose pas de données pour l'ensemble de l'Afrique subsaharienne, une étude réalisée en 2011 par RisCura et la South African Venture Capital Association (association sud-africaine du capital-risque) montre que le capital-investissement sud-africain a surperformé les fonds de capital-investissement britanniques et américains à horizon de trois, dix et cinq ans. Les taux de rentabilité interne nets sont en effet de plus de 20 % sur dix ans, contre environ 13 % au Royaume-Uni et 8 % aux États-Unis (RisCura et SAVCA, 2011). Deux des investisseurs les plus actifs de la région – l'International Finance Corporation (IFC) et l'institution financière de développement britannique CDC – indiquent que les fonds africains ont surperformé les indices de référence des marchés émergents, comme l'indice MSCI Emerging Markets6 (CDC) ou l'ensemble de leur portefeuille de capital-investissement sur les marchés émergents (IFC). Le capital-investissement en Afrique subsaharienne n'est pas une nouveauté, mais il est certain qu'il est insuffisamment développé. En fait, l'émergence de marchés africains pourrait être une véritable opportunité pour les investisseurs : de nombreuses économies africaines sont peu exposées au risque de volatilité induit par la dette sur les marchés développés. Une part importante de la croissance prévisionnelle viendra de facteurs domestiques, comme la consommation et l'investissement en énergie. Le capital-investissement en Afrique offre un formidable atout aux entreprises en quête de capital, à des prix plus raisonnables que sur d'autres marchés émergents. Les données manquent à ce jour pour confirmer définitivement les prévisions de performance, mais l'optimisme qui prévaut quant à l'évolution du capital-investissement sur le continent africain n'est pas déplacé.
1 L'acronyme BRIC désigne le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine, nouvelles puissances économiques dont le niveau de développement est équivalent.
2 Emerging Capital Partners (ECP) est une société internationale de capitalinvestissement spécialiste du continent africain. C'est le premier groupe de capital–investissement à lever plus de 1,8 milliard de dollars exclusivement destinés à des entreprises africaines.
3 Kingdom Zephyr Africa Management (KZAM) est une joint venture entre Zephyr Management (un gérant d'actifs basé à New York) et Kingdom Holding Company, une société d'investissement dirigée par le Prince saoudien Alwaleed bin Talal Bin Abdulaziz Al Saud. Zephyr et Kingdom Holding sont présents depuis plus de 15 ans dans le secteur africain du capital-investissement.
4 Voir l'article de Kiriga Kunyiha et Davinder Sikand, dans ce numéro de Secteur Privé & Développement.
5 Le Limited Partnership (LP) est une structure d'investissement, fiscalement transparente, principalement utilisée par les gestionnaires anglais, américains et nordiques. Le limited partner a une responsabilité limité, au montant de son apport, et n'est pas impliqué dans la gestion de la structure.
6 Créé par Morgan Stanley Capital International (MSCI), le MSCI Emerging Markets est un indice de capitalisation boursière ajustée du flottant, conçu pour mesurer les performances des marchés actions des pays émergents du monde. Au 30 mai 2011, il se compose des indices nationaux des 21 pays suivants : Afrique du Sud, Brésil, Chili, Chine, Colombie, Corée, Égypte, Hongrie, Inde, Indonésie, Malaisie, Mexique, Maroc, Pérou, Philippines, Pologne, Russie, Taiwan, République tchèque, Thaïlande et Turquie.
RÉFÉRENCES :
Coller Capital et EMPEA, 2011. Investor's Views of Private Equity in Emerging Markets, Emerging Markets Private Equity Survey.
EMPEA, 2011. Base de données. / FMI, 2011. Base de données des Perspectives de l'économie mondiale, avril.
RisCura et SAVCA, 2011. RisCura South African Private Equity Performance Report, février.