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Pas d'agro-industrie durable sans plantations villageoises

Publié le

Bertrand Vignes Directeur du pôle caoutchouc SIFCA

Secteur Privé & Développement

Secteur Privé & Développement #13 - Comment favoriser le développement des filières agricoles et agro-industrielles?

L’Afrique subsaharienne va connaître une révolution démographique sans précédent : sa population va tripler en 40 ans. Aujourd’hui et plus encore demain, la stabilité du continent repose sur le développement du secteur agricole et agro-industriel. Ce secteur (15 % du PIB), principal pourvoyeur d’emplois et de revenus, doit se préparer à faire face à cet enjeu colossal : comment nourrir deux milliards d’habitants en 2050, dont plus de la moitié vivra en zone urbaine ? Pour y répondre, il faut relever plusieurs défis agricoles : amélioration des rendements, mise en valeur des terres agricoles et respect de la biodiversité. Il faut aussi créer plus de valeur ajoutée dans les filières agro-alimentaire et agro-industrielles. Des investissements dans les opérations de post-récoltes, dans les infrastructures de stockage, la logistique, la transformation et la distribution sont incontournables.

Le développement des plantations villageoises conditionne le dynamisme de l'agro-industrie en Afrique subsaharienne. SIFCA a mis en place une stratégie d'accompagnement des planteurs, en particulier pour la culture de l'hévéa et du palmier à huile. En les aidant à développer leurs exploitations et en leur proposant des outils et services les protégeant, le groupe favorise à la fois sa propre croissance et le renforcement des communautés locales.

Le groupe SIFCA voit le développement des plantations villageoises – et des populations vivant autour de ses sites – comme une condition de sa propre croissance. En renforçant de nouveau, en 2009, sa politique de développement durable, SIFCA poursuit sa stratégie de collaboration avec les communautés villageoises : il s'agit de favoriser les conditions économiques, sociales et environnementales bénéfiques à la croissance de l'agriculture en Côte d'Ivoire.

Un modèle de réussite en Côte d'Ivoire

Depuis le recentrage de ses activités dans les oléagineux, le caoutchouc naturel et le sucre de canne à partir de 1999, la stratégie de SIFCA s'appuie tout spécialement sur les plantations villageoises. Il s'agit d'augmenter les surfaces et d'améliorer le rendement de ces plantations tout en respectant des principes sociaux et environnementaux. À l'origine, les sociétés agro-industrielles qui composent aujourd'hui le groupe SIFCA en Côte d'Ivoire (SAPH, Palmci, Sucrivoire) bénéficiaient de concessions attribuées par l'État. Après avoir développé leurs propres plantations, elles ont favorisé la création de plantations villageoises autour de leurs exploitations. Depuis, la situation foncière de la Côte d'Ivoire a évolué : l'État n'attribue plus de nouvelles concessions, et la nouvelle loi foncière se met très lentement en place, ce qui limite l'accès à la terre pour les sociétés agro-industrielles. De plus, les populations rurales ont augmenté et éprouvent le besoin de trouver des revenus agricoles correspondants. SIFCA a donc renforcé sa croissance en développant les plantations villageoises autour de ses propres plantations. Aujourd'hui, la production de SIFCA en Côte d'Ivoire est donc basée sur l'équilibre entre plantations industrielles et plantations villageoises. Le groupe accorde une importance capitale à l'encadrement des quelques 30 000 planteurs de palmiers à huile et d'hévéa. Ils fournissent en effet plus de 60 % des matières premières traitées par ses filiales, que ce soit en caoutchouc ou en régimes de palme. La très grande majorité de ces planteurs exploitent des petites surfaces : sur les 22 000 planteurs de palmiers qui fournissent Palmci, 15 600 (70 %) gèrent des surfaces de moins de cinq hectares, et 4 200 (19 %) disposent de surfaces comprises entre cinq et dix hectares. Sur les 8 500 planteurs liés à la Société Africaine de Plantations d'Hévéas (SAPH), 7 500 ont moins de 5 hectares (88 %). La majorité de ces petits planteurs sont membres des communautés locales ; environ 50 % d'entre eux sont géographiquement présents sur leur parcelle – une proportion qui évolue à la hausse. Cependant, de nombreux cadres investissent également dans l'hévéa et le palmier, sur des surfaces plus importantes, en passant des accords avec les communautés locales. L'ampleur des volumes livrés justifie l'existence d'un ensemble de produits et de services, tels que la fourniture de plants sélectionnés, élevés en pépinières (en 2011 la SAPH a fourni 3 millions de plants, soit l'équivalent de 5 000 hectares de plantation), la distribution de “bonus qualité” pour récompenser le planteur produisant du caoutchouc propre, la formation des planteurs aux bonnes pratiques, etc. Pour assurer la formation des planteurs, la SAPH a mis en place un dispositif d'encadrement, qui mobilise plus de 300 personnes (moniteurs, contrôleurs, ouvriers d'intervention, etc.). Cet encadrement est fourni en accord et avec la participation du Fonds Interprofessionnel pour la Recherche et le Conseil Agricoles (FIRCA). En ce qui concerne la culture du palmier, ce sont les coopératives agricoles qui sont habilitées par le FIRCA1 ; Palmci met à disposition plus de 130 personnes pour appuyer les coopératives dans cette tâche. L'encadrement des planteurs est donc une activité majeure pour le groupe, qui s'engage à assurer l'assistance technique et la formation aux bonnes pratiques culturales (récolte, pépinière, etc.). Mais les efforts déployés ne s'arrêtent pas là. La SAPH a également créé 21 centres de collecte, qui assurent une meilleure proximité avec les planteurs. Ces centres de pesée et de stockage du caoutchouc collecté chez les planteurs privés permettent de se rapprocher davantage des plantations villageoises et de mieux capter leur production. En outre, ce développement des plantations villageoises favorise indirectement la création ou l'amélioration des infrastructures : routes et pistes, écoles, centres de santé, etc. Ainsi, sur les différents sites des filiales ivoiriennes, il y a aujourd'hui plus de 80 écoles, 45 dispensaires et maternités, 31 centres médicosociaux ou infirmeries, accessibles aux planteurs et à leurs familles mais aussi aux communautés locales. La SAPH et Palmci ont aussi entamé la construction de plus de 200 logements écologiques en briques de terre comprimée2. En Côte d'Ivoire, la professionnalisation des filières agricoles a joué un rôle essentiel dans le développement des plantations villageoises. Les associations de la filière hévéicole et du palmier à huile (l'APROMAC3 et l'AIPH4) sont essentielles pour assurer la pérennité de ces activités. Elles regroupent l'ensemble des acteurs de la filière, depuis les planteurs jusqu'à la recherche-développement et assurent une organisation efficace. L'une de leurs missions principales est de fixer le prix minimum d'achat mensuel, en fonction des réalités du marché. Ce prix est donc le résultat d'un accord entre les acteurs, sans intervention de l'État. Ce prix est ensuite communiqué à tous les planteurs. La SAPH a mis en place un système de transmission par SMS, tous les débuts de chaque mois. L'entente et le consensus entre l'ensemble des acteurs sont essentiels au succès de ces filières. Les sites sucriers du groupe (Sucrivoire), ont également un programme de plantations villageoises. Ce modèle d'exploitation, qui est prédominant en Thaïlande par exemple, est toutefois encore peu développé en Côte d'Ivoire, et des solutions sont recherchées pour augmenter les superficies.

Des outils innovants pour les planteurs villageois

Une agro-industrie responsable cherche à renforcer le lien avec les planteurs villageois tout en améliorant leur qualité de vie ; pour cela, il est parfois utile de développer des outils spécifiques. L'assurance maladie du planteur, lancée en 2009 par la SAPH, en est l'exemple le plus concret ; aujourd'hui, elle compte plus de 1 180 adhérents. Le Plan de Prévoyance des Planteurs de Palmier à Huile (4PH) vient d'être lancé par Palmci, afin de faciliter l'accès aux soins à ses planteurs et à leurs familles. En contrepartie d'un montant mensuel prélevé sur son salaire, les soins du planteur et de quatre membres de sa famille sont pris en charge à hauteur de 80 % pour les consultations et de 70 % pour les médicaments. Palmci, filiale du groupe SIFCA, spécialisée dans l'exploitation de plantations de palmiers à huile et la production d'huile de palme brute, est en train d'élaborer un programme de financement innovant et unique en Côte d'Ivoire pour aider les planteurs villageois à développer leurs plantations. Cette structure est articulée autour de trois volets : fertilisation des plantations existantes, replantation et extension des surfaces en exploitation, et création de plantations sur des surfaces en jachère. Pour cela, un Fonds d'appui et de développement a été créé ; il distribue aux planteurs les fonds obtenus auprès des bailleurs sous forme de crédits rétrocédés, afin de financer leurs exploitations. Enfin, la SAPH, vient de lancer, avec Microcred, un plan épargne planteur. Il est important que le planteur puisse profiter des périodes de cours du caoutchouc élevé pour pouvoir épargner dans de bonnes conditions. Le bénéficiaire a le choix de la somme prélevée (pourcentage ou montant fixe) sur le montant de sa récolte et décide aussi de la durée du versement (un, trois ou cinq ans). Depuis son lancement début novembre 2011, ce produit a rencontré un véritable succès : 30 contrats ont été signés sur le secteur d'Aboisso et 15 sur le secteur de Bonoua.

Une stratégie déployée dans la sous-région

Implanté au Ghana, au Nigeria et au Libéria, SIFCA cherche à dupliquer “le modèle de réussite” ivoirien : mettre en valeur le potentiel agricole du pays tout en appuyant les communautés villageoises. Au Nigeria, où le Groupe est implanté depuis 2006 à travers sa filiale Rubber Estate Nigeria Ltd (RENL), le projet de développement des plantations villageoises, cofinancé par la holding caoutchouc du groupe (Société Internationale de Plantations d'Hévéa), et le Groupe Michelin, a permis de créer des plantations pilotes, qui devraient ensuite entraîner une dynamique chez l'ensemble des planteurs. Au Libéria, le groupe vient de s'engager à développer la culture de l'hévéa et du palmier à huile, avec la signature début 2011 d'un accord de concession qui comprend la création de 11 000 ha de plantations villageoises. Ces projets devraient susciter l'intérêt des bailleurs de fonds, car ils sont de véritables vecteurs de développement dans des régions qui sont encore totalement démunies. L'État ghanéen, en association avec le Ghana Ruber Estate Ltd (GREL) a lancé en 1995 un vaste projet de développement des plantations villageoises à l'ouest du pays. Cet accord tripartite, entre un opérateur financier, un opérateur technique et la Rubber Outgrowers and Agents Association (ROAA), permet de représenter l'intérêt des planteurs. L'objectif principal du projet est la réduction durable de la pauvreté rurale. Après le succès des trois premières phases du programme, la quatrième phase du projet, initiée en 2010, doit permettre la création de 10 500 hectares de plantations d'hévéa par 2 750 nouveaux planteurs. L'opérateur financier s'est engagé à ouvrir un prêt au planteur villageois pour le financement de la totalité du coût de leur plantation en phase immature. L'opérateur technique, lui, fournit pour sa part l'assistance technique aux fermiers (formation, fourniture de plants et intrants à prix coûtant, etc.). Quant au planteur villageois, il s'est engagé à mettre à disposition son terrain à la culture de l'hévéa, à suivre les recommandations de l'opérateur technique et à livrer son caoutchouc jusqu'au remboursement de son prêt. Grâce à ce projet, une véritable dynamique agricole s'est développée au Ghana. En 2010, ils sont plus de 5 600 planteurs exploitant une superficie estimée à plus de 21 100 hectares (dont 4 500 en production). Aujourd'hui, la production des plantations industrielles est encore supérieure à celle des plantations villageoises. Mais cette tendance est amenée à s'inverser, puisque dans dix ans la production de caoutchouc naturel du Ghana devrait atteindre plus de 60 000 tonnes (contre 15 000 tonnes en 2011), dont 70 % fournie par les planteurs villageois (contre 30 % en 2011). Ces différents programmes ont pour but d'assurer une croissance harmonieuse entre l'agro-industrie et les planteurs villageois et privés, cette harmonie étant la condition essentielle à la durabilité de l'activité. C'est donc un enjeu majeur pour le groupe SIFCA, mais aussi un fantastique levier de développement économique pour les pays d'Afrique de l'Ouest, car, comme le proclamait l'ancien président, père de l'indépendance, Félix Houphouët-Boigny : “la richesse de ce pays repose sur l'agriculture”.

 

1 Le FIRCA est au service des filières de production et des pouvoirs publics chargé de financer les programmes de recherche appliquée, de conseil agricole, de formation aux métiers et de renforcement des capacités des organisations agricoles et forestières.

2 Les briques de terre comprimée sont réalisées à partir de terre tamisée très légèrement humide comprimée à l'aide d'une presse. Une fois pressées, elles sont stockées et mises à sécher en phase humide, sous bâche, durant une à trois semaines.

3 L'Association des professionnels du caoutchouc naturel de Côte d'Ivoire a été créée en 1975.

4 L'Association Interprofessionnelle du Palmier à Huile de Côte d'Ivoire a été créée en 2002.