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L’indispensable transformation des chaînes d’approvisionnement dans le secteur pharmaceutique subsaharien
Publié le
Natasha Sunderji Global Health Lead Accenture Development Partnerships

Secteur Privé & Développement #28 - Le médicament en Afrique : répondre aux enjeux d'accessibilité et de qualité
L’accessibilité à des médicaments de qualité doit encore faire face à de nombreux défis sur le continent africain. Ce 28ème numéro de la revue Secteur Privé & Développement tente d’apporter des pistes de solution.
En Afrique subsaharienne, des chaînes d’approvisionnement intégrées, reposant sur les nouvelles technologies, peuvent faciliter l’accès aux médicaments, améliorer leur qualité et faire baisser leurs prix.
En Afrique subsaharienne, le marché pharmaceutique représente une formidable opportunité pour les investisseurs du secteur privé et, plus largement, pour tous les acteurs du secteur de la santé. Les ventes de produits pharmaceutiques devraient passer de 4 milliards de dollars en 2003 à environ 50 milliards de dollars en 2020 (McKinsey, 2015). Dans la moitié des pays d’Afrique subsaharienne, seuls 10 % de la population ont accès à une couverture sociale en matière de santé. L’innovation et l’investissement du secteur privé seront donc essentiels pour répondre aux besoins d’une population qui croît extrêmement vite, et qui utilise de plus en plus régulièrement des produits pharmaceutiques.
Une chaîne d’approvisionnement fragmentée
Les chaînes d’approvisionnement et la vente au détail gérées par le secteur pharmaceutique privé sont, en Afrique subsaharienne, extrêmement fragmentées. Cette fragmentation – largement due à la défaillance des infrastructures – est un facteur clé expliquant les difficultés que rencontre le patient africain en matière de prix, de qualité, de disponibilité ou de contrefaçon des médicaments. En Afrique, les chaînes d’approvisionnement comptent en effet un grand nombre d’intermédiaires. Un même pays peut ainsi avoir des centaines d’entreprises spécialisées dans la distribution et dans la vente au détail de produits pharmaceutiques. Au Ghana par exemple, plus de 500 entreprises distribuent les produits pharmaceutiques et plus de 700 détaillants les commercialisent – sans compter le marché informel, encore plus important. Et, bien sûr, chaque intermédiaire ajoute sa marge – aux alentours de 25 % – au prix final. De ce fait, en dépit d’un coût de production bas, les médicaments vendus en Afrique subsaharienne sont souvent les plus chers au monde. Au Kenya, le prix du producteur représente seulement 48 % du prix final d’un médicament produit par le secteur privé – alors que 22 % reviennent au grossiste, 21 % au détaillant et 9 % sont nécessaires pour le reconditionnement au niveau local. Aux États-Unis, marché très fortement consolidé, la marge des grossistes représente environ 4 % du prix final. Même lorsque les patients ont les moyens de payer très cher leurs traitements, il n’est pas toujours facile de se les procurer. Avant d’arriver au patient, les médicaments doivent en effet passer entre les mains des innombrables acteurs de la chaîne d’approvisionnement – ce qui ralentit énormément leur cheminement. Ce problème est particulièrement prégnant dans un pays comme le Mozambique, où de nombreux intermédiaires interviennent dans le transport des médicaments, sur un territoire très étendu. Les arrivages peuvent rester bloqués jusqu’à cinq mois dans un entrepôt.
Qualité médiocre et médicaments de contrefaçon
La qualité des médicaments est, elle aussi, affectée par la fragmentation des chaînes d’approvisionnement. Lorsque les stocks ne sont pas livrés à temps, les médicaments dont la durée de conservation est limitée peuvent être inutilisables ou perdre de leur efficacité. Par ailleurs, les multiples défaillances de la chaîne d’approvisionnement n’encouragent pas les détaillants à travailler avec des distributeurs qui vendent exclusivement les médicaments de fabricants certifiés. Les patients, ne parvenant pas à trouver sur le marché officiel le médicament dont ils ont besoin, vont alors se tourner vers le marché parallèle, ou utiliser des médicaments de mauvaise qualité. La contrefaçon des médicaments est un problème encore plus grave. Si ce phénomène extrêmement complexe a bien entendu de multiples causes, une chaîne logistique très fragmentée est incontestablement un facteur aggravant. Les médicaments contrefaits ont plus de chances d’être achetés dans des points de vente non autorisés (51 %) que chez un détaillant homologué (24 %) – voir Almuzaini, 2013. Les faux médicaments contre le paludisme et la tuberculose sont responsables à eux seuls d’environ 700 000 décès par an dans le monde (AfricaRenewal, 2013). Si nous voulons réellement améliorer les conditions de vie en Afrique subsaharienne, il faut en finir avec l’actuel degré de complexité des chaînes d’approvisionnement.
Un marché consolidé pour plus d’efficacité
La consolidation de la chaîne d’approvisionnement du secteur pharmaceutique peut conduire à la mise à disposition des clients d’une plus grande quantité de médicaments, moins chers et de très bonne qualité – comme l’a démontré la transformation du marché pharmaceutique mexicain. Au douzième rang mondial de par sa taille, le marché mexicain pèse 13 milliards de dollars et a parfaitement réussi à améliorer, pour les patients, la disponibilité de médicaments de qualité. Autrefois très éclaté, le commerce de détail est désormais dominé par quelques grandes chaînes de pharmacies – dont Farmacias YZA (avec plus de 550 officines) et Farmacias Guadalajara (1550 points de vente). Du fait de leur taille, ces chaînes ont une bonne maîtrise de leurs stocks et ont mis en place des systèmes de traçabilité tout au long de la chaîne d’approvisionnement qui garantissent la qualité des produits pharmaceutiques vendus au patient. Elles peuvent aussi faire jouer à plein l’effet de taille pour proposer des services inédits, comme l’achat en ligne, ou les officines d’urgence (ouvertes 24h/24). La distribution de gros est elle aussi fortement consolidée ; les quatre plus grands distributeurs détiennent à eux seuls 58 % du marché et sont en mesure d’acheminer rapidement les médicaments et de réagir efficacement aux fluctuations de la demande.
Les régulateurs peuvent favoriser la baisse du prix des médicaments et participer à l’amélioration de leur qualité ; mais ils ont aussi le pouvoir d’encourager la consolidation du marché. L’investissement de capitaux privés joue déjà un rôle dans la consolidation de la chaîne d’approvisionnement pharmaceutique. LeapFrog Investments a par exemple investi 22 millions de dollars dans la société Goodlife Pharmacy, par le biais de son troisième fonds, récemment clôturé (dans lequel Proparco était un investisseur clé). Le business model de Goodlife intègre des services de télémédecine et une plateforme de paiements très sophistiquée à son offre pharmaceutique classique. Cette chaîne de pharmacie de détail touche aujourd’hui plus de 600 000 consommateurs, sur plus de 20 sites en Afrique de l’Est. Les capitaux apportés à Goodlife par LeapFrog vont permettre à la chaîne de déployer, dans les années à venir, une ambitieuse stratégie d’expansion au Kenya et au-delà – qui contribuera à faire émerger un grand acteur du secteur, porteur d’innovations. Ce développement transforme les conditions d’obtention des médicaments en Afrique de l’Est. Un réseau fragmenté de centaines de petits détaillants ne pourra jamais avoir le même impact sur les patients qu’une chaîne comme Goodlife. Les entreprises internationales sont elles aussi en mesure de jouer un rôle clé dans le processus de consolidation. C’est particulièrement flagrant, là encore, dans la transformation du marché latino-américain. Le groupe mexicain de boissons et de commerce de détail FEMSA a racheté des pharmacies régionales leaders sur leurs marchés, comme YZA au Mexique ou Cruz Verde au Chili. FEMSA a d’ambitieux projets pour les deux marques – un développement qui les autorisera de proposer à un nombre croissant de patients des médicaments de qualité à un prix abordable. Les technologies innovantes permettent d’aller encore plus loin. Avec un investissement en capital limité, elles peuvent en effet accompagner cette transformation en augmentant l’efficacité des chaînes d’approvisionnement. L’Afrique subsaharienne constitue, dans ce domaine, une véritable zone de test – du fait de son contexte réglementaire, infrastructurel et des besoins de la population. La startup Zipline, dans la Silicon Valley, développe par exemple une technologie qui pourrait changer la donne dans la distribution de produits pharmaceutiques. Soutenue par des acteurs du capital-risque comme Sequoia Capital et Andreessen Horowitz, elle a mis au point des drones avec système GPS intégré, susceptibles de livrer des colis équipés d’un parachute et pouvant peser jusqu’à 1,5 kg. Cette solution est actuellement utilisée au Rwanda pour acheminer des poches de sang et des vaccins dans les zones rurales. Dans le même ordre d’idées, les autorités du Malawi et l’UNICEF ont lancé un partenariat avec l’entreprise américaine Matternet pour tester l’utilisation de drones pour réduire les délais de dépistage du HIV chez les nouveau-nés. Également soutenue par Andreessen Horowitz, Matternet collabore avec un certain nombre de partenaires internationaux, dont l’OMS et MSF, dans le but de développer le recours aux nouvelles technologies pour résoudre des défis de la chaîne d’approvisionnement en médicaments. À mesure que leur coût diminue, les drones et les autres innovations de ce type pourraient contribuer de façon importante à la rationalisation des chaînes d’approvisionnement pharmaceutiques (en particulier en se substituant aux intermédiaires), pour assurer à chacun des médicaments abordables et de qualité, et en permettant leur traçabilité.
L’actuelle complexité des chaînes d’approvisionnement est à l’origine d’une grande partie des problèmes rencontrés par les patients africains pour accéder rapidement à des médicaments abordables et de bonne qualité. Le secteur privé a un rôle essentiel à jouer dans l’amélioration de l’efficacité de ces chaînes d’approvisionnement et dans la transparence de leur fonctionnement. Leur consolidation produit d’ores et déjà d’excellents résultats. À l’avenir, l’utilisation de solutions technologiques innovantes permettra sans doute de faire évoluer le business model du secteur et d’identifier les leaders du marché. En Afrique subsaharienne, ceux qui sauront reconnaître le potentiel du marché et qui agiront rapidement ne se contenteront pas d’en retirer des bénéfices financiers : ils contribueront aussi à sauver des millions de vies.
Références :
McKinsey, 2015. Insights into Pharmaceuticals and Medical Products – Africa: A Continent of Opportunity for Pharma and Patients. Par Tania Holt, Mehdi Lahrichi, Jean Mina, Jorge Santos da Silva. Tariq Almuzaini, Imti Choonara, Helen Sammons, 2013. Substandard and counterfeit medicines: a systematic review of the literature. Disponible sur Internet : http://bmjopen.bmj.com/content/3/8/e002923 AfricaRenewal, 2013. Counterfeit drugs raise Africa’s temperature. Par Jocelyne Sambira. http://www.un.org/africarenewal/magazine/may-2013/counterfeit-drugs-raise-africa%E2%80%99s-temperature