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L’exploitation minière peut constituer une opportunité de transformation pour l’Afrique subsaharienne

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L’industrie minière peut constituer une formidable opportunité pour l’Afrique subsaharienne, mais il convient pour cela de mettre en place des mesures et une réglementation permettant de renforcer la solidité financière des compagnies d’électricité, ainsi que de garantir un environnement d’exploitation moins incertain et mieux sécurisé. L’intégration du secteur de l’électricité et de l’industrie minière peut déboucher sur un scénario gagnant-gagnant, pour les économies locales comme pour le secteur privé. Dans cet article, les auteurs développent dans quelle mesure la demande du secteur minier peut être utilisée pour faire émerger des solutions d’approvisionnement en énergie plus respectueuses de la dimension environnementale et sociétale, par des mesures concrètes, susceptibles d’une mise en œuvre effective par les décideurs politiques.

L’industrie minière, un secteur primordial pour l’Afrique subsaharienne

L’industrie minière est un secteur économique clé en Afrique subsaharienne (ASS), où elle représente plus de la moitié du total des exportations pour de nombreux pays. L’investissement dans le secteur minier devrait s’élever selon les prévisions à 75 milliards de dollars pour la période 2013-2020, et il constitue une part très importante du PIB de la région (figure 1).

Figure 1. Investissements réalisés et prévisionnels dans le secteur minier : 2000-2020

Source : Banerjee, Romo, McMahon, Toledano, Robinson et Arroyo (2014)

Note : Les chiffres d’estimations reflètent des moyennes par tranches d’investissement. Dans le cas du Mozambique, cet investissement prévisionnel n’inclut pas le gaz naturel. L’électricité représente généralement entre 10 et 25% des coûts d’exploitation d’une mine, un pourcentage qui varie en fonction des méthodes appliquées et selon qu’elle génère sa propre électricité ou qu’elle recourt au réseau national. L’intégration des secteurs de l’électricité et des mines peut créer une situation gagnant-gagnant : les sociétés minières deviennent pour les compagnies d’électricité des clients de référence1 stables et crédibles, leur permettant de financer des investissements qui bénéficient à l’ensemble des consommateurs. L’alimentation par le réseau électrique2 revient en général moins cher à une exploitation minière que la génération de sa propre électricité, et elle permet à la mine de se concentrer sur son cœur de métier. De tels dispositifs contribuent par conséquent à faire progresser le PIB du pays qui les accueille, par une meilleure valorisation des ressources minières et une dynamisation de l’emploi local. Ils améliorent aussi la compétitivité des mines, du fait de la réduction de leurs coûts énergétiques. Un secteur énergétique bien plus vaste serait nécessaire pour soutenir la croissance économique de l’Afrique subsaharienne. Actuellement, la capacité de génération d’électricité installée est de 80 gigawatts (GW) seulement. Elle n’a augmenté que de 1,7% en moyenne annuelle au cours des 20 dernières années et, si cette tendance se maintient, la région abritera bientôt 70% de la population de la planète n’ayant pas accès à l’électricité. Pour rester en phase avec le développement économique, la capacité installée devrait atteindre 700 GW d’ici 2040 (Eberhard et al., 2011). Dans son édition de novembre 2013, la revue de PROPARCO Secteur Privé & Développement examinait comment les producteurs indépendants d’électricité (IPP)3 peuvent contribuer à résoudre les problèmes énergétiques de l’Afrique. Elle s’intéressait notamment à un projet phare, en République démocratique du Congo, s’appuyant sur les besoins énergétiques du secteur minier. Un rapport de la Banque mondiale était également utilisé pour montrer comment ce potentiel de l’industrie minière pouvait servir à améliorer l’accès à l’électricité dans des économies africaines, par ailleurs particulièrement riches en minerais (Banerjee et al. 2014)4.

 

La demande énergétique du secteur minier devrait tripler d’ici à 2020

La demande énergétique des activités minières devrait atteindre selon les prévisions 23 443 MW d’ici 2020, soit une augmentation de 155% par rapport au chiffre de 2012. En Afrique subsaharienne, la consommation énergétique du secteur minier était de 15 124 MW en 2012, contre 7 995 MW en 2000, 90% de cette électricité étant acheminée par les réseaux de distribution. D’ici 2020, la demande énergétique annuelle du secteur devrait croître de 3,5% en Afrique du Sud, contre pas moins de 9,2% en moyenne dans les autres pays d’Afrique subsaharienne. La demande énergétique minière de l’Afrique du Sud, qui représentait 70% du total ASS en 2000 et 66% en 2012, ne devrait donc plus constituer d’ici 2020 que 56% de ce total. La demande s’est en outre concentrée jusqu’ici sur un petit nombre de métaux – en l’occurrence principalement l’aluminium, suivi du cuivre, des platinoïdes (PGM), du chrome et de l’or – mais l’activité de l’aluminium ne s’est que faiblement développée depuis 2000. Ce sont donc le cuivre et le platine qui devraient être à l’origine des principales augmentations (respectivement 2 150 MW et 2 010 MW). Les processus d’affinages représentent pour leur part environ les deux tiers de la demande énergétique totale. Dans certains pays, la demande énergétique du secteur minier est énorme par rapport à celle d’autres secteurs de l’économie : en 2012, elle représentait 24% de la demande intérieure en Afrique subsaharienne, et cette proportion devrait atteindre 30% d’ici 2020. En Guinée, au Liberia et au Mozambique, la demande de l’industrie minière devait dépasser d’ici 2020 celle de tous les autres secteurs. Sachant que la demande du secteur minier pourrait atteindre 35% de la demande totale d’ici 2020, si la capacité des réseaux est maintenue à ses niveaux de 2012, alors les sociétés minières seront contraintes soit de produire leur propre électricité, soit de trouver des solutions alternatives innovantes.

Figure 2. Comparaison de la demande du secteur minier avec celle des autres secteurs

a. Croissances comparées de la demande

b. Top 10 des pays classés selon la part de la demande du secteur minier par rapport à celle du secteur non-minier Note : Le panel inclut 27 pays pour lesquels sont disponibles à la fois les chiffres de la demande du secteur minier et ceux de la demande globale.

Source : Banerjee, Romo, McMahon, Toledano, Robinson et Arroyo (2014)

 

Introduire des dispositifs innovants, entre l’auto-approvisionnement et le recours exclusif au réseau

Il existe au moins six intermédiaires possibles entre l’auto-approvisionnement par les exploitations minières et leur recours intégral au réseau de distribution.

Figure 3. Typologies des différentes modalités d’approvisionnement énergétique

Source : Banerjee, Romo, McMahon, Toledano, Robinson et Arroyo (2014)

Le raccordement au réseau est actuellement la principale modalité d’alimentation énergétique pour les projets miniers, mais l’auto-approvisionnement prend de plus en plus d’ampleur : de seulement 6% des projets ayant recours à l’auto-approvisionnement en 2000, on devrait passer à 18% en 2020. Parmi les différentes options, l’auto-approvisionnement est celle qui a progressé le plus vite entre 2000 et 2020 (avec 11,5% de croissance, contre 5,8% pour les solutions intermédiaires et 4,7% pour l’alimentation par le réseau). Il est également possible de prendre appui sur la demande du secteur minier pour faire émerger des solutions d’approvisionnement en énergie propre. Pour les quatre modalités hybrides d’approvisionnement énergétique qui se fondent sur des partenariats avec un réseau (à savoir la vente groupée au réseau par les exploitants miniers, l’investissement conjoint dans le réseau électrique, le rôle de client de référence pour des IPP ou le recours exclusif au réseau), la production à partir de charbon représentera d’ici 2020 environ 69% de la capacité installée. La part de la production hydroélectrique s’élèvera elle à 27%, les 4% restant étant produits à partir du pétrole (Figure 3.a).

 

Les modalités d’alimentation des exploitations minières en énergie sont déterminées par des facteurs complexes

Trois facteurs principaux déterminent le choix des différentes options. Premièrement, la ressource énergétique qui prévaut dans le pays concerné. Les réseaux reposant sur l’énergie hydroélectrique tendent à favoriser davantage l’intégration : soit les exploitations minières sont raccordées au réseau, soit elles concluent des accords avec les compagnies d’électricité, qu’elles financent en totalité ou en partie.Deuxièmement, les déséquilibres entre l’offre et la demande et les déficits énergétiques qui en résultent. Lorsque la fiabilité du réseau est déficiente, les exploitations minières s’en affranchissent au profit de l’auto-approvisionnement, comme en Afrique du Sud ou en Tanzanie. Troisièmement, les écarts de coûts entre le recours au réseau et l’auto-approvisionnement. Ce dernier se rencontre souvent dans les cas où l’énergie est produite à partir de fuel et dérivés pétroliers, là où son prix de revient est inférieur aux tarifs pratiqués par le réseau de distribution, mais aussi dans des cas de génération hydroélectrique, où l’auto-approvisionnement de la mine intervient à un coût certes plus élevé que celui du réseau, mais permet de se prémunir contre le risque de fréquentes coupures. Souvent, les exploitations minières investissent dans les actifs énergétiques aux côtés des pouvoirs publics dans des pays dont le réseau repose sur l’hydroélectricité ou sur une électricité peu coûteuse. Leur objectif est alors de bâtir un réseau plus performant, susceptible de délivrer de façon pérenne et stable cette électricité bon marché. Parce que les exploitations minières sont au moins aussi soucieuses de la sécurité de leurs approvisionnements que de leurs coûts, il arrive cependant qu’elles misent sur l’auto-approvisionnement même lorsque son coût au kilowatt est nettement plus élevé que celui du réseau. En jouant sur les économies d’échelle, il est possible de réduire les coûts à la fois pour les exploitations minières et pour les populations concernées. En Guinée, en Mauritanie et en Tanzanie, par exemple, les exploitations minières sont à même d’intervenir en tant que clients de référence pour des programmes d’électrification à l’échelle locale. Il n’est pas économiquement viable de raccorder les exploitations à des réseaux électriques qui, comme en Guinée ou en Mauritanie, sont encore balbutiants et peu fiables. En revanche, les mines situées dans une même zone géographique qui souhaitent parvenir à l’autosuffisance peuvent s’entendre entre elles ou s’associer à un producteur indépendant pour opérer un mini-réseau à haute tension. Cela peut concerner en Guinée des projets hydroélectriques, ou en Mauritanie des projets de TGCC (figure 4). Différent scénarios possibles ont été simulés pour les trois pays mentionnés ci-dessus. En Guinée et en Mauritanie, le scénario optimal est celui d’un partage de la production énergétique, avec approvisionnement des communautés alentours. Les simulations font apparaître pour les exploitations minières des économies s’élevant respectivement à 640 millions de dollars et 990 millions de dollars, dans un scénario permettant d’alimenter en électricité dans un cas 5% et dans l’autre 4% de la population locale. En Tanzanie, les piètres performances de TANESCO contraignent de nombreuses mines à assurer leur indépendance énergétique. D’après les simulations, la création d’un réseau intégré de 300 MW produirait pour les exploitations minières une économie de l’ordre de 3,5 milliards de dollars et permettrait d’alimenter en électricité de façon fiable les régions de Mwanza et de Shinyanga, en forte croissance.

Figure 4. Estimations du coût unitaire moyen selon différents scenarios d’intégration

Source : Banerjee, Romo, McMahon, Toledano, Robinson et Arroyo (2014)

 

 

Huit points clé pour une gestion plus efficace des risques et des obstacles

Dans de nombreux pays riches en minerais, les taux d’électrification demeurent inférieurs à 20% et, malgré l’énorme potentiel que représente une intégration entre l’industrie minière et la production d’électricité, les bénéfices pour les populations locales ne sont pas flagrants. La mise en place des dispositifs d’intégration est en effet entravée par la nature complexe des accords commerciaux requis, ainsi que par les risques et dangers que présentent l’exploitation minière et son financement. Mais le Cameroun pourrait bien tenir une réponse prometteuse. Dans ce pays, les pouvoir publics ont mis en place un cadre de planification à long terme qui engage les gros consommateurs d’énergie à développer pleinement le potentiel des ressources hydroélectriques. Pour obtenir le droit de développer de nouveaux sites hydroélectriques, les entrepreneurs privés sont ainsi mis en concurrence sur la base de la qualité de leurs accords de répartition de l’énergie, les excédents étant dans ce cas revendus au réseau dans une logique de recouvrement des coûts. Le secteur privé a un rôle essentiel à jouer dans le secteur énergétique en Afrique subsaharienne. Pour mette en place un scénario gagnant-gagnant qui bénéficie à tous les acteurs concernés, les pouvoirs publics doivent se concentrer sur les aspects suivants :

  • Renforcer la solidité financière du secteur énergétique : indépendamment des modalités d’approvisionnement énergétique retenues, les acteurs du secteur doivent constituer, pour les compagnies minières, des partenaires fiables et solvables.
  • Améliorer l’environnement opérationnel pour les IPP : les exploitations minières sont à même d’investir dans la production énergétique soit directement, soit en devenant des clients de référence pour les IPP, mais une réglementation adaptée est nécessaire pour permettre à ces derniers d’opérer dans de bonnes conditions, et pour attirer les investissements du secteur privé.
  • Tenir compte de la demande du secteur minier dans la planification des besoins énergétiques : une fois que les accords avec les sociétés minières sont en place, leur demande énergétique courante et prévisionnelle peut aisément être prise en compte dans la planification globale des besoins. La réglementation du secteur minier devrait exiger, pour tout nouveau projet, la quantification des besoins énergétiques et la détermination de la façon dont ils seront couverts, dans un dialogue rendu obligatoire avec les agences gouvernementales concernées. Au-delà d’une certaine taille, pour les exploitations qui ont recours à l’auto-approvisionnement dans des zones excentrées, un dispositif prévoyant également l’approvisionnement des populations locales doit être mis à l’étude.
  • Expertise en matière d’approvisionnement : les pouvoirs publics doivent adopter une vision à long terme dans l’identification des synergies potentielles, et il leur faut tenir compte également de la demande croissante issue de secteurs de l’économie autres que le secteur minier. L’intervention d’experts permet dans ce contexte d’identifier les dispositifs susceptibles de maximiser les avantages potentiels, au profit de tous.
  • Renforcer les mécanismes réglementaires : une réglementation économique qui fixe simplement les tarifs de recouvrement des coûts engagés par les compagnies d’électricité, pour leur permettre d’investir et d’entretenir les infrastructures, se révèle bien souvent inadaptée. Il faut tenir compte des risques potentiels, tels que les retards et défauts de paiement, ou le non-respect des obligations contractuelles des IPP ou des contrats d’achat d’électricité (PPA) . Une réglementation efficace est également requise pour imposer le respect de toutes les obligations contractuelles et renforcer la position des acteurs du secteur énergétique qui ne peuvent se prévaloir d’une garantie de l’État.
  • Revoir régulièrement la tarification appliquée au secteur minier : des dispositifs souples de tarification de l’électricité et des contrats soigneusement formulés avec les clients de référence peuvent permettre d’éviter le subventionnement des exploitations minières au détriment du prestataire énergétique – ou du contribuable. Le pouvoir de négociation des grandes exploitations minières ne doit en aucun cas occulter les intérêts des autres secteurs de l’économie, ou celui des clients particuliers qui seraient prêts à payer plus cher leur électricité.
  • Rédiger avec soin les accords présentant une dimension RSE pour les populations riveraines : les politiques de RSE n’étant pas contraintes, leur caractère éminemment aléatoire peut nuire à l’efficacité des dispositifs énergétiques mis en place localement. Afin de renforcer la stabilité pour l’investisseur et de mettre toutes les compagnies minières sur un pied d’égalité, ces dispositifs intégrant une dimension sociétale doivent être encadrés par des accords de concession couvrant la satisfaction des besoins en électricité dans un certain périmètre, et permettant d’accroître les capacités locales de distribution.
  • Utiliser des plateformes régionales : à court et moyen terme, il peut être nécessaire de mettre en place au niveau régional une coordination des politiques liées aux infrastructures et à la répartition de l’électricité produite, afin d’optimiser les investissements énergétiques consentis.

  En Afrique subsaharienne, la demande énergétique du secteur minier devrait tripler d’ici 2020, pour atteindre 23 443 MW. Avec seulement 80 gigawatts installés aujourd’hui, la capacité actuelle de génération est cependant dérisoire, et elle n’augmente que de 1,7% par an. Comme l’indiquait en 2014 un rapport de la Banque mondiale, l’industrie minière peut constituer une formidable opportunité de transformation pour l’économie de la région. Pour ce faire, des mesures et une réglementation s’imposent afin de renforcer la solidité financière des compagnies d’électricité, ainsi que de garantir un environnement d’exploitation moins incertain et mieux sécurisé, ce qui rendrait ces investissements plus attrayants pour le secteur privé, dont la contribution est aujourd’hui indispensable.

 

1 Les clients de référence (anchor customers) sont ceux qui achètent d’importantes quantités d’énergie, et constituent de ce fait une source de revenus réguliers.

2 L’alimentation par le réseau renvoie à l’électricité acheminée via un réseau de lignes à haute tension, de relais électriques, de transformateurs, etc.

3 Définition de l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA) : entreprise, personne, agence, autorité ou autre entité juridique qui n’est pas un fournisseur collectif d’électricité (electric utility), mais détient ou exploite des unités de production énergétique, principalement à destination du public.

4 Tous les détails de l’étude, y compris l’ensemble des données chiffrées, simulations et exemples spécifiques par pays, sont disponibles dans cette publication de Banerjee et al. (2014).

5 Dans la définition de la Banque mondiale, un contrat d’achat d’électricité (PPA ou Power Purchase Agreement) sécurise le flux de paiements dans le cadre d’une approche Build-Own-Transfer (construction-exploitation-transfert,  dite « BOT ») ou d’un projet de concession avec un producteur indépendant. Ce contrat intervient entre l’acheteur ou « offtaker » (souvent un producteur-distributeur public d’électricité) et un producteur d’énergie du secteur privé.
 

 

Références :

Sudeshna G. Banerjee, Z. Romo, G. McMahon, P. Toledano, P. Robinson et I.P. Arroyo, 2014. The Power of the Mine: A Transformative Opportunity for Sub-Saharan Africa. (« Le potentiel transformateur de l’industrie minière : une opportunité

Anton Eberhard, Orvika Rosnes, Maria Shkaratan et Haakon Vennemo, 2011. Africa’s Power Infrastructure: Investment, Integration, Efficiency (« Infrastructures énergétiques en Afrique : investissement, intégration, efficacité »), in Directions in Development. Washington, DC : Banque mondiale.