Partager la page

Les investissements dans les énergies propres des pays en développement sont-ils rentables ?

Publié le

Secteur Privé & Développement

Secteur Privé & Développement #6 - Capital-investment et énergies propres : catalyser les financements dans les pays émergents

Le développement d’une économie plus sobre en carbone est essentiel pour répondre à deux impératifs majeurs auxquels nos sociétés seront confrontées au cours de la prochaine décennie : assurer l’approvisionnement en énergie (menacé par la raréfaction des ressources pétrolières), et répondre au défi climatique. La combinaison de ces deux contraintes débouche probablement sur « une nouvelle révolution industrielle », privilégiant des solutions à la fois sobres et compétitives, ouvrant la voie à de nouvelles stratégies de croissance pour de nombreux secteurs économiques. La lutte contre le changement climatique n’est pas un frein au développement économique.

La rentabilité économique des investissements dans les énergies propres des pays en développement est réelle, comme le montrent les exemples de deux sociétés créées par Aloe Private Equity. Si Greenko en Inde prouve bien que cette rentabilité peut s'accompagner de plus-values environnementales et sociales, l'exemple de Longmen en Chine met en avant l'importance des compétences locales. Au-delà, la capacité du gestionnaire du fonds à s'impliquer directement, à entrer en partenariat localement, à respecter un ensemble de principes de référence semble essentielle à la réussite des projets.

Les fonds privés sont encore frileux à l'idée d'investir dans les pays en développement – en particulier dans le domaine des énergies propres. Pour beaucoup, se pose la question de la rentabilité et de la sécurité de tels investissements. Pour répondre à ces questions, il convient sans doute de s'appuyer sur des cas concrets, précis – pour rester au plus près des réalités du terrain. Créé en 2004, Aloe Private Equity (APE) est un fonds d'investissement spécialisé dans le développement durable. Il investit dans le capital de sociétés enregistrant une forte croissance d'activité ; en 2008, APE réalisait par exemple 40 % de ses investissements dans le domaine du recyclage, 50 % dans les énergies propres (hydroélectricité surtout) et 10 % dans l'agriculture durable. Cette stratégie d'investissement qui a aussi conduit APE à créer des sociétés se caractérise par l'accompagnement des équipes tout au long du développement de l'activité. Elle repose par ailleurs sur des engagements sociaux et environnementaux forts. Ainsi, tous les investissements sont étudiés avec une approche de responsabilité social et les principes définis par le Pacte mondial des Nations unies1 sont systématiquement respectés – ce que les investisseurs apprécient. APE a su convaincre aussi bien des family offices (sociétés privées qui gèrent tout ou partie du capital d'une famille aisée) en Asie que des banques ou des compagnies d'assurance, sans oublier des institutions internationales comme la Société Financière Internationale (SFI), le Swedfund ou Proparco. APE est en effet le premier fonds privé dédié au développement durable dans lequel la SFI a investi. APE est présente aussi bien en Europe (à Paris et Londres) qu'en Asie (à Bombai et Pékin), établissant des passerelles entre projets et favorisant le transfert de technologies – dans les deux sens. L'Asie est intéressante à la fois bien entendu pour sa croissance économique et démographique, mais aussi pour les perspectives de rentabilité et de débouchés très importants qu'elle offre aux entreprises qui contribuent à pérenniser ou à économiser les ressources naturelles. L'actionnariat reflète ce positionnement géographique – en particulier asiatique ; de fait, en plus d'être informés sur les opportunités « locales » d'investissements, les actionnaires sont aussi désireux de contribuer au développement de leur région. APE gère aujourd'hui trois fonds de capital-investissement – tous localisés en partie ou en totalité en Asie – se distinguant ainsi de la plupart des équipes de gestion du Nord généralement frileuses pour investir dans les pays en développement, et ce d'autant plus lorsqu'il s'agit des énergies propres, en raison de risques techniques, économiques, financiers et politiques qu'elles induisent2. Pourtant, l'état de santé des sociétés productrices d'énergie appartenant au portefeuille d'APE peut témoigner de la forte rentabilité de ces investissements – et met en évidence les impacts positifs qu'ils ont sur le développement économique local.

Viser une rentabilité économique, sociale et environnementale : le cas de Greenko en Inde

Du fait de sa forte croissance démographique, l'Inde offre de fantastiques opportunités pour les investisseurs, notamment dans les infrastructures (sa capacité de production électrique en termes de puissance installée reste par exemple inférieure d'environ 15 % (contre 17 % en 1998) à la demande en pointe). Ce déficit l'empêche de répondre pleinement à une demande en forte augmentation. Pourtant, le pays dispose d'un potentiel de déchets verts très important et inexploité, pouvant être utilisé pour produire de l'électricité propre. En plus d'offrir une alternative intéressante aux ressources fossiles – qui assurent via les centrales thermiques environ ¾ de la production – l'utilisation de la biomasse3 permet la création d'emplois locaux par la collecte des déchets et le fonctionnement des unités de production d'électricité. Dans ce contexte, APE a créé la société Greenko en février 2006, avec un investissement de 3 millions d'euros en provenance de son fonds AEF I, et s'est fortement impliquée dans la conception et le démarrage de la société – jusqu'à en assurer un temps la Présidence et en siégeant au conseil d'administration. Il a fallu avant tout reprendre et redynamiser plusieurs unités de production d'électricité à partir de biomasse, qui fonctionnaient à un niveau très inférieur à leur capacité nominale. Après plusieurs acquisitions, la société a ensuite construit de nouvelles usines, utilisant aussi bien la biomasse que l'hydroélectricité. Convaincu de son succès, APE a renouvelé son appui financier à Greenko au travers de son fonds AEF II. Fort de sa réussite et désireux de lever davantage de fonds, Greenko a été introduit en novembre 2007 sur le marché AIM4 de la bourse de Londres, ce qui lui a permis de lever 45 millions d'euros auprès de nouveaux investisseurs. De surcroît, il a bénéficié en 2009 d'un placement de 46 millions de dollars du Global Environment Fund et de 72 millions de livres sterling de la part d'investisseurs privés tels que TPG, M&G et Blackrock. Ces levées de fonds successives ont permis à Greenko de devenir un des leaders privés des énergies renouvelables en Inde. En croissance constante, Greenko totalise actuellement plus de 120 mégawatts (MW) de capacité de production ; des infrastructures totalisant une capacité supplémentaire de 336 MW sont en cours de développement (Table 1). Les activités de Greenko ont un impact significatif sur l'emploi local. Greenko emploie ses collaborateurs localement ; la collecte des résidus agricoles génère par ailleurs des emplois indirects. Ainsi, Greenko emploie directement aujourd'hui plus de 600 personnes, produit annuellement 2 860 800 de mégawattheures (MWh) et permet une réduction des émissions de gaz carbonique de 1 488 909 tonnes par an. Selon les prévisions, ces chiffres pourraient être multipliés par cinq dans les trois prochaines années. Considérant le cours à la mi-mars 2010, la valeur de l'action Greenko a été, elle, multipliée par quatre en 12 mois, offrant ainsi une très forte rentabilité à ses investisseurs. En satisfaisant ses besoins initiaux en capital, en l'accompagnant et en le faisant bénéficier de son expertise (notamment lors de son introduction en bourse) tout au long de son expansion, APE a sensiblement contribué au succès de Greenko. Inversement, les fonds gérés par APE bénéficient de l'appréciation financière de Greenko qui assure – en plus des retombées sociales et environnementales – un très bon taux de retour sur investissement. Les effets bénéfiques de cet accompagnement se retrouvent dans d'autres contextes, dans d'autres situations – comme le prouve le cas de Longmen Group en Chine.

S'appuyer sur des compétences locales : le cas de Longmen en Chine

Longmen Group est un producteur chinois de gaz non conventionnel5, le Coal Bed Methane (CBM – gaz présent dans les gisements de houille). L'utilisation du gaz – plus propre que le charbon – permet de diminuer l'intensité carbone du mix énergétique chinois. Le CBM est composé en grande majorité de méthane ; il était auparavant considéré comme un déchet, alors que son interchangeabilité complète avec le gaz naturel en fait une ressource extrêmement précieuse. Les avancées technologiques récentes, notamment le développement des méthodes de prospection – en particulier sismique – et de forage permettent de mieux l'exploiter. Il peut être utilisé aussi bien par l'industrie que par les foyers chinois. Compte tenu de ces perspectives, APE a participé à la création de Longmen en 2005 et permis à la société de démarrer des négociations avec la China United Coal Bed Methane (entreprise publique qui possède les droits d'exploration de développement et de production du méthane en Chine). Il s'agissait d'obtenir une concession de 470 km2 dans la province de Shaanxi ; grâce à la présence des partenaires locaux d'APE et à la persévérance des équipes, un premier accord a été signé en mai 2005. Depuis, d'autres acquisitions sont venues compléter les réserves de Longmen, qui totalise aujourd'hui près de 1000 km2 de concessions. Après avoir levé 45,5 millions de dollars auprès d'investisseurs, le groupe devrait bénéficier d'un nouveau placement de 30 à 50 millions de dollars pour soutenir sa croissance ; Longmen démontre ainsi son attractivité pour les investisseurs. Le groupe a très vite cherché à sécuriser une technologie appropriée pour valoriser au mieux ses  concessions. APE a contribué à cette recherche en identifiant des experts américains et en démarrant un partenariat avec une société chinoise, Orion, qui dispose d'une bonne expérience dans le domaine du forage de CBM. Longmen est entré au capital d'Orion – ce qui a permis à cette dernière de moderniser ses outils d'exploration et de forage. Longmen cherche maintenant à sécuriser les débouchés en aval de son activité en s'engageant dans la compression de gaz pour véhicules automobiles et la distribution auprès des stations services spécialisées.

Des approches différentes mais des bénéfices comparables

L'investissement dans les énergies propres peut être sans conteste économiquement rentable – les exemples de Greenko et de Longmen, parmi d'autres, le prouvent. En outre, la rentabilité sociale et environnementale de ces capitaux peut être réelle : participation au développement économique local – en favorisant l'emploi, par exemple – réduction des émissions de gaz à effet de serre, diversification du mix énergétique, etc. L'exemple de Greenko montre qu'il est possible de réussir le démarrage d'une activité en améliorant le rendement d'usines existantes tournant en sous-capacité, tout en construisant de nouvelles unités de production. Longmen ne s'est pas appuyé sur des infrastructures déjà existantes, mais a obtenu très rapidement de nouvelles concessions en s'appuyant sur des acteurs locaux, tout en sécurisant un savoir-faire par le biais de participations locales (forage, transport). Dans les deux cas, la production d'énergie propre s'appuie sur des compétences locales. Ces investissements participent en outre à freiner l'exode rural et permettent le développement d'une activité économique (directe et indirecte). Enfin, leur rentabilité est réelle : créées récemment de toutes pièces, les deux entreprises atteignent aujourd'hui des valeurs très élevées : plus de 100 millions de dollars pour Longmen et le double pour Greenko. Les réussites les plus symboliques – au-delà de ces deux exemples – sont potentiellement riches en enseignements. Le succès des investissements semble ainsi être conditionné par quelques facteurs récurrents. Il s'agit tout d'abord de s'appuyer sur des compétences locales pour mettre en oeuvre et développer les activités ; par ailleurs, la présence d'investisseurs locaux au sein du fonds lui assure sans doute une meilleure capacité d'acquisition d'information et une attention particulière aux activités menées. Le gestionnaire du fonds doit être extrêmement réactif, capable de s'impliquer directement dans la gestion et l'accompagnement des équipes. Dans l'idéal, il respectera un ensemble de normes ou de principes qui font aujourd'hui autorité (comme par exemple ceux du Pacte mondial). Sa capacité, en outre, à repérer, à entrer en partenariat, et à évaluer des acteurs locaux est indéniablement une condition de succès.

 

1 Il s'agit d'un pacte par lequel des entreprises s'engagent à aligner leurs opérations et leurs stratégies sur 10 principes universellement acceptés touchant les droits de l'Homme, les normes du travail, l'environnement et la lutte contre la corruption.

2 Sur ce point lire l'article de Duncan Ritchie dans ce numéro de Secteur privé et développement.

3 Le terme de biomasse regroupe l'ensemble des matières organiques pouvant devenir des sources d'énergie. Ces matières organiques provenant des végétaux peuvent être vues comme une forme de stockage de l'énergie solaire, captée et utilisée par le biais du processus de photosynthèse

4 Alternative Investment Market (AIM) est un sousmarché de la bourse de Londres créé pour permettre aux PME de lever des fonds en émettant des actions.

5 Pour faire face à l'épuisement des ressources de gaz dit « conventionnel » (gaz présent dans une roche poreuse et perméable, facile d'accès), on s'intéresse à d'autres gisements, moins accessibles. Ils sont dit « non conventionnels ».

 

RÉFÉRENCES :

Greenko, 2010. www.greenkogroup.com/business/