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Le tourisme dans les pays en développement : un levier de croissance ignoré en dépit de son potentiel
Publié le
Denis Sireyjol Chargé d'affaires Proparco

Secteur Privé & Développement #7 - Faut-il promouvoir le tourisme dans les pays en développement?
Depuis plus d’un demi-siècle, le tourisme croît de façon constante, à un rythme plus rapide que les échanges internationaux. Cette tendance semble aujourd’hui irréversible ; l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) prévoit plus d’un milliard d’arrivées de touristes internationaux dans le monde en 2010 et 1,6 milliard en 2020. Bien que les pays en développement n’occupent encore qu’une position marginale dans les flux touristiques internationaux, leurs performances s’améliorent à un rythme supérieur à la moyenne mondiale. Pour ces pays - dont l’activité économique repose souvent sur un petit nombre de secteurs d’activité -, le tourisme offre un réel potentiel de diversification. Il peut être une source considérable de devises, de revenus et d’emplois, vecteur de progrès économique et social.
Les impacts négatifs du tourisme ont tendance à occuper les espaces de discussion. La contribution du tourisme à l'économie des pays en développement est importante et les estimations montrent qu'elle va croître. Les États et les bailleurs de fonds n'attachent pas beaucoup d'importance au tourisme. L'expérience montre qu'il est possible de mettre en place des partenariats atténuant les impacts négatifs et favorisant le potentiel développemental du tourisme.
La situation du tourisme dans les pays en développement est paradoxale. En dépit de son poids dans l'économie de ces pays, les États et les bailleurs de fonds lui accordent peu d'importance. Le tourisme ne serait donc pas un vecteur clé de développement, contribuant au dynamisme économique, à la réduction de la pauvreté et participant à la protection de l'environnement ? Les raisons de cette « frilosité » des États et des bailleurs de fonds sont sans doute à chercher ailleurs. La perception du risque associé au secteur est élevée, souvent de nature à décourager un soutien plus massif des institutions financières. Le secteur souffre aussi d'une forme d'incompréhension, voire de méconnaissance. Pourtant, le tourisme mérite sans doute d'être mieux soutenu ; en se concentrant sur les modalités de cet accompagnement, le débat permettrait aux bailleurs et aux États de mieux exploiter le tourisme en tant que levier du développement économique et social.
Des effets négatifs très visibles
Les États, les bailleurs de fonds, les ONG et les experts du secteur n'ont pas tous le même avis sur le tourisme dans les pays en développement, loin de là. Le débat se concentre sur les effets négatifs du tourisme dans les pays en développement – lorsqu'ils existent, ils sont en effet extrêmement visibles : comment ne pas constater la dégradation d'un paysage ? Comment peut-on ignorer l'épuisement des ressources en eaux, la pollution des mers ? S'il ne s'agit pas de nier ces réalités, il faut aussi remarquer qu'il est beaucoup plus malaisé de rendre visible les effets positifs du tourisme, ce qui ne veut pas dire qu'ils n'existent pas. Plus globaux, moins visibles, ils souffrent en plus du manque d'instruments aptes à les mesurer1. Les États et les bailleurs de fonds, dans leur perception du secteur, sont aussi influencés par des facteurs d'ordre idéologique : ils conçoivent le tourisme – surtout lorsqu'il s'agit de l'hôtellerie de luxe – comme une forme d'exploitation où la population aisée des pays développés viendrait profiter du contexte économique et géographique des pays en développement. Cette perception est d'autant plus marquée pour le tourisme que celui-ci repose bien souvent sur la mise en présence de populations défavorisées et de visiteurs aisés. Les bailleurs de fond estiment que le financement de projets touristiques dans les pays en développement peut affecter négativement leur image alors que ses effets positifs ne sont pas garantis. Les États priorisent rarement le tourisme dans les documents stratégiques de réduction de la pauvreté2 , même s'il figure dans 80 % d'entre eux. Les bailleurs de fonds ne mobilisent qu'une très faible part de leurs moyens en faveur du secteur touristique : en 2003, celui-ci ne bénéficiait que de 0,1 % de l'aide publique mondiale3 – soit 77 millions de dollars sur un total de 77 milliards de dollars (Comité d'aide au développement – CAD, 2005).
Un secteur risqué mais des effets réels
Au-delà des risques d'image précédemment évoqués, le désintérêt que suscite le tourisme dans les pays en développement auprès des bailleurs de fonds et des financiers s'explique aussi par les risques financiers qui y sont associés. Les banques commerciales, par exemple, enregistrent généralement un niveau de contentieux plus important dans le secteur du tourisme que dans d'autres secteurs. Le tourisme est aussi particulièrement sensible aux fluctuations de la conjoncture économique internationale. La crise financière récente a provoqué une forte chute du nombre d'arrivées de touristes internationaux (Figure 1). Hormis en Afrique subsaharienne4, les pays en développement n'échappent pas à cette tendance. Il est démontré que le secteur du tourisme réagit de façon amplifiée à la conjoncture économique (Oxford Economics, 2008). Ainsi, en période de crise, l'activité dans le secteur du tourisme se contracte encore plus vite que le PIB. Mais l'hésitation des investisseurs et des institutions financières vient aussi des caractéristiques propres aux projets touristiques. L'industrie hôtelière, par exemple, est une activité de coûts fixes qui nécessite des investissements importants. Pour résister aux fluctuations d'activité, les entreprises hôtelières doivent donc disposer d'un important niveau de fonds propres. Or, assimilant les projets touristiques à ceux du secteur immobilier – qui sont, eux, financés par des effets de leviers importants –, les promoteurs ont tendance à ne pas respecter ce principe. En outre, étant donné la faiblesse des barrières à l'entrée (les projets ne nécessitant pas de processus technologiques complexes), il est fréquent que les porteurs de projets ne soient pas spécialistes de l'hôtellerie. Enfin, la prise d'hypothèque sur les terrains et les bâtiments en guise de garantie des prêts est relativement compliquée dans les pays en développement pour des institutions étrangères – le droit local interdisant même parfois l'accès à la propriété de créditeurs étrangers – et la valeur de ces garanties reste souvent limitée par la faible liquidité des actifs. Ces différentes variables découragent souvent les établissements financiers. Pourtant, la contribution du tourisme aux économies des pays en développement est importante ; au Vietnam, en Thaïlande, au Cambodge, mais aussi en Tunisie, au Maroc ou en Égypte, il représente plus de 12 % du PIB et de l'emploi total (AFD, 2008). Bien que relativement plus faible, cette contribution reste très significative dans les pays les moins avancés (Conseil mondial des voyages et du tourisme – WTTC, 2010) : en 2010, le tourisme contribue par exemple à près de 9 % au PIB de l'Éthiopie ou du Sénégal. Pour certains pays, il n'est pas rare que cette part dépasse les 25 %, comme c'est le cas pour l'Ile Maurice par exemple. Les prévisions à l'horizon 2020 indiquent une augmentation importante des contributions du tourisme à la croissance des pays développement – une tendance qui s'inverse, en revanche, pour les pays développés. Le tourisme est par ailleurs, après l'agriculture, le secteur économique qui contribue le plus à la création d'emplois, relativement à sa contribution au PIB (Figure 2).
Au-delà de leurs effets positifs directs, les projets touristiques – en particulier hôteliers – ont des effets indirects importants. Lorsqu'il s'implante dans une zone reculée, un hôtel dynamise et diversifie l'économie locale, offrant des opportunités d'affaires intéressantes aux acteurs locaux. Par exemple, en Gambie, des fournisseurs de boissons à base de produits locaux ont obtenu des contrats d'approvisionnement auprès des opérateurs hôteliers (Goodwin, 2005) ; à Madagascar, l'essor du tourisme a contribué au bon entretien de certaines routes, favorisant ainsi le développement des activités économiques locales autour de ces routes. Enfin, la réalisation d'un projet pionnier dans une région reculée implique un renforcement de la réglementation des investissements, du droit foncier et du droit de la propriété – ce qui encourage la venue d'autres investisseurs et contribue au développement de la région. Plus globalement, le développement du tourisme améliore la « visibilité » du pays sur la scène internationale, ce qui favorise la prise en compte de ses problèmes internes (pauvreté, conflits, etc.) et son ouverture au monde. Le tourisme contribue à l'activité économique de multiples façons. Il semble exister une corrélation entre la part du tourisme dans les exportations d'un pays5 et sa croissance économique. Selon le FMI (2009), toute chose étant égale par ailleurs, une augmentation de 1 % de la part des recettes du tourisme dans le total des exportations provoque une augmentation de la croissance annuelle du PIB de 0,5 points de pourcentage. Cette corrélation est confirmée par Brau et alii (2003), pour qui les pays les plus exposés au tourisme sont aussi ceux dont la croissance du PIB est la plus importante. Fayissa et alii (2007) montrent quant à eux l'existence d'une corrélation positive en Afrique entre la croissance des dépenses touristiques et celle du PIB : une augmentation de 10 % de ces dépenses génère une croissance de 0,4 % du PIB par habitant.
Sélectionner les projets à financer
Étant donné que le tourisme joue déjà un rôle considérable dans l'économie des pays en développement – et qu'il est voué à prendre encore davantage d'ampleur dans les années à venir – les institutions financières peuvent difficilement aujourd'hui rester plus longtemps à l'écart de ce secteur. La question de savoir s'il faut accompagner cet essor ne se pose plus ; par contre, il est essentiel de s'interroger sur la meilleure façon de le faire. Conscient des difficultés de financement auxquelles les opérateurs touristiques sont confrontés et des enjeux liés au développement du secteur, les bailleurs de fonds engagés dans le secteur du tourisme accordent une attention particulière aux projets hôteliers – surtout à ceux qui sont portés par des promoteurs de taille importante. Ils offrent en effet des garanties de remboursement réelles et ont la capacité financière d'engager des actions limitant les impacts négatifs et favorisant les aspects positifs des projets. L'expérience des institutions actives dans ce secteur montre qu'il n'existe pas de « recette miracle » pour différencier un bon d'un mauvais projet ; néanmoins, chaque projet fait l'objet d'une analyse détaillée des impacts. Il est assorti d'exigences qui sont autant de gages de réussite telles que la conception et la mise en place d'un plan de gestion environnemental et social engageant. Les porteurs du projet doivent aussi pouvoir prendre financièrement en charge le développement de certaines infrastructures d'utilité publique (construction de routes, préservation de sites naturels, etc.) – et ce en intégrant les coûts afférents au plan de financement du projet. En outre, leur projet doit permettre la promotion des économies locales et l'accessibilité des marchés aux entreprises de la région. Ils doivent également s'engager à sensibiliser les futurs clients de l'hôtel au contexte culturel local. Enfin, le projet doit s'inscrire dans le cadre d'une collaboration avec les autorités régionales et nationales, celles-ci pouvant aboutir à la mise en place de partenariats sur la gestion des infrastructures publiques, ou de standards hôteliers régionaux ou nationaux offrant les meilleurs critères. Lorsque tous ces critères sont respectés, un projet peut être financé, puisqu'il repose sur un réel partenariat et la volonté partagée de participer au développement local.
1 Heureusement, quelques avancées récentes de la recherche scientifique permettent de nuancer ce constat ; voir en particulier l'article de Jonathan Mitchell dans ce numéro de Secteur privé et développement.
2 Ce type de documents décrit le plan d'action du gouvernement et ses priorités en termes de politiques économiques pour favoriser la croissance et réduire la pauvreté. Ces documents sont en général rédigés par les États avec l'appui des bailleurs de fonds.
3 Cette aide vise essentiellement à améliorer l'organisation de la profession, à soutenir financièrement les opérateurs et à favoriser la promotion des sites culturels et naturels.
4 La résistance des pays d'Afrique subsaharienne s'explique partiellement par une moindre concurrence entre les opérateurs hôteliers, donc plus de flexibilité à la baisse sur les prix de manière à conserver des taux d'occupation élevées.
5 Le tourisme est considéré comme une industrie exportatrice car il permet l'entrée de devises dans le pays.
RÉFÉRENCES :
AFD, 2008. Tourisme et développement, Lettre des économistes. / Brau, R., Lanza, A., Pigliaru, F., 2003. How Fast Are the Tourism Countries Growing? The Cross-Country Evidence, CRENoS, document de travail.
CAD, 2005. Correspondence from the Statistics and Monitoring Division, Development Cooperation Directorate, OECD, envoyé le 9 décembre 2005.
Fayissa, B., Nsiah, C., Tadasse, T., 2007. The Impact of Tourism on Economic Growth and Development in Africa, Middle Tennessee State University, Department of Economics and Finance, document de travail.
FMI, 2009. Tourism Specialization and Economic Development: Evidence from the Unesco World Heritage List, document de travail n°176.
Goodwin, H., 2005. Pro-Poor Tourism: Principles, Methodologies and Mainstreaming, International Conference on Pro-Poor Tourism Mechanisms and Mainstreaming, Technological University of Malaysia, document de travail, 4-6 mai 2005.
Mitchell, J., Ashley, C., 2010. Tourism and Poverty Reduction: Pathways to Prosperity, Earthscan, London.
OMT, 2010. Baromètre du tourisme mondial, vol. 8, n°1, janvier 2010
Oxford Economics, 2008. Tourism Forecasting.
WTTC, 2010. Economic Data Search Tool, base de données.