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Le secteur privé : un acteur clé dans la réduction des inégalités entre les sexes

Publié le

Zainab Saeeb Responsable Recherche de marché et Développement produit Kashf Foundation

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Secteur Privé & Développement #33 - Mobiliser le secteur privé pour réduire les inégalités de genre

Malgré une prise de conscience accentuée et les avancées réalisées, les femmes demeurent confrontées à une multitude d’inégalités. Le 33ème numéro de la revue Secteur Privé & Développement, paru en février 2020, s’intéresse au rôle du secteur privé pour réduire les inégalités de genre.

L’objectif prioritaire de la Kashf Foundation est de permettre aux femmes de jouer pleinement leur rôle d’agents du changement économique et social au Pakistan. Depuis 1996, elle propose une offre de microcrédit et de prêts spécifiquement destinés aux femmes, mais aussi d’éducation financière et de formation professionnelle.

L’intégration de la dimension du genre, si elle est conçue comme un moteur de croissance, constitue pour les décideurs politiques une proposition attrayante. Plusieurs études révèlent en effet qu’une amélioration du taux de participation des femmes au marché du travail peut avoir des effets significatifs sur la croissance. Selon un rapport du cabinet McKinsey1, on pourrait augmenter le PIB mondial de 12 000 milliards de dollars d’ici 2025 en accroissant la participation des femmes à l’économie. De même, une étude de l’Organisation mondiale du travail révèle qu’un comblement de 25 % des écarts entre les sexes en matière de participation économique pourrait générer, sur la même période, 5 300 milliards de dollars de PIB supplémentaire dans le monde.2 Cela dit, malgré les arguments économiques, les inégalités entre les sexes perdurent à l’échelle de la planète. Les femmes font face à des inégalités d’accès à la santé, à l’éducation, aux opportunités économiques et à l’inclusion dans la vie politique. D’après le Rapport mondial sur la parité entre les sexes (Global Gender Gap Report)3, si rien ne change, l’égalité entre les sexes ne sera pas effective avant une centaine d’années. Ce même rapport indique que la parité globale entre les sexes atteint actuellement 68,6 % dans le monde, et que les 10 pays les moins bien classés n’ont comblé que 40 % de l’écart hommes-femmes. En matière de pouvoir et d’émancipation politique, les femmes n’occupent que 25 % des postes existants. En outre, seules 55 % des femmes participent au marché du travail – contre 78 % des hommes. Dans ce contexte, le secteur privé peut jouer un rôle innovant et disruptif en faveur de la parité hommes-femmes. Des exemples de réussite existent partout dans le monde, démontrant que l’entreprise privée peut être un catalyseur de croissance inclusive. Dans les pays en développement, des institutions de microfinance – comme la Kashf Foundation, au Pakistan – jouent un rôle central dans l’émancipation des femmes. Ces organismes ciblent d’abord les normes sociales qui régissent leur participation économique, en abordant localement, à travers le prisme du genre, les problèmes d’accès ou d’évolution des mentalités, et en s’appuyant sur les vertus de l’exemple, le marketing sexospécifique, des campagnes de sensibilisation et une implication directe dans la société.

 

AUTONOMISATION DES FEMMES : LE CAS DU PAKISTAN

L’égalité des sexes est un souci majeur au Pakistan, pays de près de 207 millions d’habitants, dont plus de 103 millions sont des femmes (environ 49 % de la population). Selon le Global Gender Gap Report du Forum économique mondial, le Pakistan se classe globalement 151e sur 153 pays4. Le rapport le place au 150e rang pour la participation et les opportunités économiques, au 143e rang pour le niveau d’instruction, au 149e rang en matière de santé et de survie, et au 93e rang pour l’émancipation politique5. Pour affronter ces problèmes de parité, le Pakistan a adopté une approche « tout-le-monde-sur le-pont », impliquant les efforts conjoints du secteur public et du secteur privé. Fondée en 1996, la Kashf Foundation est la première institution de microfinance au Pakistan entièrement consacrée à l’émancipation des femmes. Elle développe un modèle complet et « impactant », pour une meilleure inclusion des femmes. Fidèle à sa raison d’être, Kashf œuvre ainsi à bâtir une société non-sexiste plus inclusive, en plaçant les femmes au centre de son action – dans ses programmes et ses activités opérationnelles, mais aussi dans ses politiques internes.

 

LES FEMMES, AU COEUR DES PROGRAMMES  ET DES ACTIVITÉS OPÉRATIONNELLES DE KASHF

La priorité aux femmes fait partie intégrante de la culture institutionnelle de Kashf. C’est cette dimension qui caractérise la fondation, et qui a été déclinée dans tous les aspects de notre travail. Depuis 1996, nous avons octroyé plus de 4,4 millions de prêts, soit au total plus de 1,2 milliards de dollars6, destinés à plus de 2,7 millions de femmes issues de foyers à faibles revenus. La démarche de Kashf va au-delà du simple octroi de microcrédits aux femmes : elle est conçue comme un programme « holistique » de changement, visant à créer les conditions d’un environnement épanouissant pour les femmes micro-entrepreneures. Pour ce faire, nous offrons plusieurs produits et services destinés à satisfaire la multiplicité des besoins des femmes à faibles revenus. L’offre comprend différents types de micro-prêts, pour les entreprises, les besoins d’urgence ou le bétail, des prêts conformes à la Sharia (destinés aux régions plus conservatrices du nord-ouest du Pakistan), et des prêts s’adressant spécifiquement à plus de 4 000 écoles privées « low cost ». S’ajoute à cette offre de crédit toute une palette d’actions de renforcement des capacités, destinées à développer les compétences et à favoriser l’innovation : éducation financière, formation au développement commercial et renforcement des compétences professionnelles.

Pour faire entendre la « voix » des femmes et amplifier leur « espace », nous intervenons de façon pragmatique, pratique et participative sur le renforcement des capacités à l’échelle de l’individu, des communautés ou de la société. Cette démarche inclut notamment des formations à la justice et à l’équité entre les sexes pour nos clientes, leurs époux et les jeunes garçons du voisinage, des représentations théâtrales mettant en scène des problèmes sociétaux pertinents, et des campagnes dans les grands médias, destinées à amener des prises de conscience sur les problèmes auxquels sont confrontées les femmes de foyers à faibles revenus. Pour contribuer à assurer concrètement des « filets de sécurité sociale », Kashf assure la médiation de programmes d’assurance centrés sur les femmes et sur les plus pauvres. Ces offres comprennent une assurance hospitalisation complète, un produit « argent liquide » pour régler les dépenses hospitalières dans les zones rurales et reculées (lancé en juillet 2019, il compte déjà 7 050 bénéficiaires), et une assurance-vie solde restant dû. Avec plus de 2,5 millions d’assurés, le portefeuille de Kashf présente la plus forte proportion de polices de micro-assurance au Pakistan.

Selon une étude conduite en 2019 sur nos programmes par la société Semiotics, plus de 43 % de nos clients ont enregistré grâce à nos prêts une hausse de leurs bénéfices, et 61 % d’entre eux ont vu augmenter leur épargne du fait de meilleures performances commerciales. En outre, 83 % de nos clients entrepreneurs et indépendants estiment que leur capacité à gérer leur activité s’est améliorée à l’issue de nos formations, et 78 % des bénéficiaires d’une formation en gestion ont vu augmenter leur chiffre d’affaires. S’agissant des indicateurs sociétaux, 50 % des femmes interrogées font état de meilleures relations avec leur mari, 69 % des clientes constatent une augmentation de leurs capacités grâce à un prêt de Kashf, et la même tendance se dessine chez nos clientes sur la perception de l’estime de soi.

 

LA PARITÉ DES SEXES CONCERNE AUSSI NOS ÉQUIPES !

En cohérence avec sa mission pour l’émancipation des femmes, Kashf donne l’exemple en matière de diversité et d’inclusion du genre dans ses propres équipes. À travers différents programmes et politiques internes, notre institution est parvenue à établir une égalité des chances pour les deux sexes. Nous sommes le seul organisme pakistanais de microfinance qui affiche un ratio hommes-femmes de 50 % dans ses effectifs, à tous les niveaux de l’organisation : c’est presque le double du taux de participation des femmes dans le pays7. De plus, 50 % de nos salariés ont un supérieur hiérarchique qui est une femme, et notre conseil d’administration est à 37 % féminin. Cela témoigne de notre engagement en faveur du recrutement, de la fidélisation et de la progression de carrière des femmes. L’année dernière, 50 % de nos recrutements ont concerné des femmes, et le taux de départ féminin n’était que de 3,7 % (contre 3,8 % pour les hommes). S’agissant des promotions internes, 45 % ont concerné des femmes en 2019, et environ 50 % des effectifs de Kashf travaillent aujourd’hui dans une équipe dirigée par une femme. Parmi les politiques les plus notables en faveur de la parité hommes-femmes et de la diversité, citons d’abord l’égalité des chances au recrutement, une démarche de terrain qui repose sur des interventions dans les lycées et une participation aux salons de recrutement, dans les écoles de filles aussi bien que de garçons. Une fois recrutés, tous les salariés, hommes ou femmes, participent à des sessions de découverte de l’entreprise, et notamment de ses valeurs et de son approche du genre. Cette phase est suivie, pour toutes et tous, d’une formation sur le poste, qui donne lieu à une certification à l’issue des tests. Une fois les salariés titularisés, beaucoup d’autres formations les accompagnent dans les différentes étapes de leur vie. Le programme « pas sans ma belle-mère » en est une illustration importante. Les futures belles-mères des salariées de Kashf sont conviées à une session d’orientation, et nos collaboratrices sont conseillées sur la gestion des « exigences » que pourrait entraîner leur entrée dans cette nouvelle phase de leur existence. Kashf est aussi l’une des premières organisations pakistanaises à offrir un congé de paternité aux pères souhaitant passer plus de temps avec leurs nouveau-nés. Nous proposons également une garderie, au siège et dans toutes nos succursales8. Pour le bon équilibre des postes de dirigeants, nous disposons d’un programme de formation exhaustif, qui intègre la dimension du genre et prépare les plans de relève en tenant compte des besoins spécifiques en matière de leadership : pour les femmes, il se concentre sur la prise de décision et la négociation, tandis que les hommes sont formés à la délégation et aux comportements sur le lieu de travail. Éviter aux femmes le fameux « plafond de verre » est un autre impératif clé, abordé chaque année au travers du système de rémunération et de résoudre à long terme les problèmes de mobilité, Kashf a mis en place un dispositif moto/ scooter : il offre aux salariées des prêts à taux zéro (autre première au Pakistan), afin d’inciter les femmes à recourir à ces moyens de transport plus économiques, jusqu’ici inaccessibles parce que considérés comme culturellement « inconvenants ». Lancé il y a deux ans, ce programme a déjà permis à une trentaine de femmes d’acquérir un scooter, et plusieurs dossiers d’attribution sont actuellement en cours d’examen. La Kashf Foundation s’engage pour répondre aux besoins des femmes de foyers à faibles revenus, et en faveur de leur émancipation. Nous concevons des programmes et mettons en place des politiques qui s’adressent à un environnement en perpétuelle évolution, afin de renforcer le rôle des femmes dans la société et l’économie pakistanaises.

 

1  McKinsey Global Institute, How Advancing women’s equality can add US$12 trillion to Global Growth, Septembre 2015.

2  Organisation internationale du travail, Economic Impacts of Reducing the Gender Gap, 2017.

3  Forum économique mondial, Mind the 100 Year Gap, 2019

4  Le Pakistan se classe depuis quatre ans parmi les 5 derniers.

5  Forum économique mondial, Global Gender Gap Report 2020, 2019.

6  À un taux de conversion de la roupie pakistanaise de 1 USD pour 100 PKR.

7  Organisation internationale du travail, Economic Impacts of Reducing the Gender Gap, 2017.

8  En fonction des besoins du personnel.