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Le défi de l’approvisionnement et de la facture énergétiques dans un pays fragile : l’exemple du Nigeria

Publié le

Olivier Leruste Président d’Echosys Invest et cofondateur d’Echosys Advisory Afrigreen

Nuru - République démocratique du Congo
© Nuru

Secteur Privé & Développement 41

Secteur Privé & Développement #41 - Agir en contextes fragiles : financements, partenariats, innovations

Cette édition de la revue Secteur Privé & Développement est consacrée aux contextes fragiles. Les multiples défis auxquels sont confrontés les pays fragiles, convergent, s’additionnent et se renforcent mutuellement. Dans ces géographies, il faut en même temps répondre à des situations d’urgence, lutter sur le long terme contre la pauvreté et prendre en compte les impacts du changement climatique.

Les pays en situation de fragilité, comme le Nigeria, font face à une grande précarité énergétique – corollaire de leurs multiples défis sociaux, économiques, sécuritaires et sanitaires. Les solutions d’accès à l’énergie sont limitées pour le secteur privé et les générateurs au diesel servent souvent de substitut à un réseau électrique défaillant ou onéreux. L’alternative que représente le solaire photovoltaïque est précieuse mais son adoption est souvent retardée par une incertitude réglementaire, une évolution imprévisible des prix du réseau et la fluctuation du taux de change.

Le Nigeria, un pays fragile ? Première économie africaine devant l’Afrique du Sud et l’Égypte, forte de ses 222 millions d’habitants, de ses 37 milliards de barils de réserves de pétrole (dont le Nigeria est le premier producteur en Afrique), de ses réserves minières, de sa superficie de 924000 kilomètres carrés, de ses climats variés (allant de la côte tropicale humide au sud, propice à la culture du cacao et de l’huile de palme, à la savane sahélienne au nord, en passant par les hauts plateaux du centre favorables à l’agriculture vivrière et céréalière), le pays est un géant économique au marché intérieur profond, avec une large base industrielle, une culture des affaires et un management de qualité.

DES DÉSÉQUILIBRES CONNUS ET DES SOLUTIONS CONSENSUELLES

La fragilité du Nigeria tient aujourd’hui à l’accumulation des difficultés auxquelles le pays est exposé, difficultés qui s’imbriquent et s’aggravent réciproquement. L’insécurité, la pauvreté, le déficit énergétique, la corruption, le manque d’infrastructures, le manque de devises et avec lui, la dépréciation du taux de change, sont des défis qui semblent impossibles à résoudre indépendamment les uns des autres.

Pourtant les solutions sont généralement consensuelles parmi les économistes. La hausse de la production énergétique nigériane, rendue possible par une sécurité accrue et des investissements massifs mais très rentables upstream (production pétrolière), midstream (densification du réseau de gazoducs) et downstream (modernisation des raffineries) viendrait réduire le déficit de la balance des paiements, stabiliser la devise, réduire les prix de l’énergie, créer de l’emploi, accroître la compétitivité de l’industrie et, ce faisant, améliorer la richesse nationale et réduire la pauvreté.

Néanmoins cette imbrication joue également dans le sens opposé. Comme la sécurité dans la région du delta du Niger ne s’améliore pas, les investissements dans les champs de pétrole onshore se réduisent, comme l’attestent les récentes décisions de Shell et TotalEnergies de céder certaines de leurs participations dans les champs de pétrole sur terre et en eau peu profonde. Le Nigeria n’atteint pas le plafond de production pétrolière octroyé par l’OPEP (1,3 million de barils par jour produits en moyenne en 2023 pour un plafond ajusté à 1,5 million en novembre 2023). Le pays peine à acheminer son gaz naturel vers les centres de consommation ; le gaz est torché à perte sur les sites de production de pétrole tout en libérant des gaz à effet de serre. En échouant à entretenir et moderniser les raffineries de la société nationale NNPC dont la production s’est réduite d’année en année, l’importation de produits raffinés s’accroît et pèse sur la balance des paiements en dollars. La devise nigériane, la naira, a été dévaluée deux fois entre juin 2023 (-44 %) et janvier 2024 (-39 %). Elle continue de se déprécier en février 2024. Le secteur privé est directement affecté par cette situation. Le coût de revient d’un litre de diesel au Nigeria est passé de 790 nairas à 1 227 nairas par litre entre août 2022 et février 2024.

UN IMPACT TRÈS NÉGATIF SUR LA FOURNITURE EN ÉLECTRICITÉ, INSTABLE ET ONÉREUSE

La situation du secteur électrique au Nigeria est symptomatique de la fragilité de l’économie. Les 42 gigawatts de capacité installée générés par 22 millions de groupes électrogènes, doivent être comparés aux 5,4 gigawatts fournis par le réseau électrique. Les particuliers, les acteurs économiques et les administrations doivent se substituer aux entreprises de distributions d’électricité (les « DISCOs ») défaillantes, en s’équipant de leurs propres générateurs qui fonctionnent en moyenne 4 à 8 heures par jour du fait des coupures de courant. Le coût de revient de cette électricité issue d’un diesel importé et payé en dollars est supérieur à 20 centimes de dollars par kilowattheure. Ce coût fluctue avec les prix du baril de pétrole mais surtout s’accroît en devise locale proportionnellement à la dépréciation de la naira, un défi pour les entreprises centrées sur le marché intérieur et pour les particuliers dont les revenus ne sont pas dollarisés.

Comment les entreprises nigérianes s’organisent-elles dans cet environnement ? C’est un défi de tous les jours, comme le racontent les dirigeants de Valentine Chicken, dans le secteur de l’agro-alimentaire, de JMG dans le secteur de l’assemblage de biens d’équipement, ou de Baze University, une université basée à Abuja. La majeure partie des équipements nécessaires à la production électrique, notamment les panneaux solaires, sont importés et payés en dollars. Le règlement de ces achats se fait au gré de l’obtention des dollars au guichet des banques commerciales, qui elles-mêmes tentent d’obtenir les allocations de la banque centrale nigériane (la CBN). Une situation critique qui a conduit en juin 2023 au limogeage du directeur de la CBN, à une dévaluation de la devise et au libre flottement du taux de change.