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L’agriculture, moteur de la création d’emploi au Nigéria

Publié le

Kola Masha Directeur général Babban Gona

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Secteur Privé & Développement #31 - L'agro-industrie, un levier pour le développement. À quelles conditions ?

Ce numéro de Secteur Privé & Développement s’attache à démontrer que l’agro-industrie, si elle évoque parfois « des externalités négatives affectant l’environnement et les petits producteurs », peut constituer un formidable levier pour le développement.

Au Nigéria, la part des jeunes sans emploi est estimée à plus de 60 %. Plus ce chiffre augmente, plus le risque d'insurrections augmente. L’une des solutions pourrait venir de l’agriculture, mais les jeunes agriculteurs en activité sur de petites exploitations n’ont pas accès aux économies d’échelle qui leur permettraient d’être rentables. L’action de Babban Gona se fonde sur un modèle de mini-coopératives agricoles rendant possibles ces effets d’échelle, en matière de gestion comme d’investissement, pour permettre au secteur de réaliser pleinement son potentiel.

Actuellement, au Nigéria, le chômage des jeunes est estimé à plus de 60 % et vient accroître le risque d’insurrections. Ces dernières se sont multipliées dans le pays ces deux dernières décennies. Le Nigéria compte plus de 180 millions d’habitants et la moyenne d’âge est de 18 ans seulement : dans les 20 prochaines années, quatre fois plus de jeunes qu’aujourd’hui se retrouveront sur le marché du travail, d’où la nécessité absolue de créer des emplois. L’agriculture pourrait constituer la solution, en raison de son poids économique (22 % du PIB), de son potentiel de croissance et de ses besoins importants en main d’œuvre, de surcroît assez faiblement qualifiée. L’agriculture est l’un des principaux employeurs du pays, mais les petits exploitants sont enfermés dans un cycle de pauvreté, car ils ne peuvent pas réaliser les économies d’échelle nécessaires pour atteindre la rentabilité commerciale.

 

Le cycle de la pauvreté : un problème structurel

La faiblesse des économies d’échelle est un problème structurel, qui entraîne la faiblesse des rendements et de la rentabilité chez les petits exploitants agricoles. Il entrave l’accès au crédit – pour l’achat d’intrants à un coût plus favorable, par exemple –, induisant en outre une asymétrie d’information sur les moyens d’optimiser les rendements et de différer la vente des produits pour en obtenir des prix plus élevés, ces derniers ayant tendance à s’apprécier après la récolte.

Par rapport à leurs homologues plus âgés, les jeunes exploitants sont confrontés à des défis qui pèsent lourdement sur leur rentabilité. Tout d’abord, du fait des transmissions et héritages successifs, leurs exploitations sont généralement plus petites, ce qui les condamne à atteindre des rendements très élevés s’ils veulent réussir à nourrir leur famille. Ensuite, leurs aînés ont souvent des adolescents qui peuvent contribuer aux travaux agricoles sans augmenter les coûts de main d’œuvre – le jeune exploitant, pour faire face à cette concurrence, devra s’équiper de machines ou employer une main d’œuvre salariée. Troisièmement, ils ont moins d'épargne et moins d'actifs, de sorte qu'ils ont moins à investir dans des intrants ou à offrir en garantie de prêts.

 

Une solution : la coopérative agricole

Dans d’autres pays, les petits exploitants agricoles ont su relever le défi des économies d’échelle et accéder à ces dernières en formant des organismes coopératifs. Dans les pays développés, le succès de ces organisations paysannes a souvent reposé sur l’implication des dirigeants, avec une responsabilité réelle envers les membres du réseau, une gestion professionnalisée, et des investissements leur permettant d’atteindre la taille critique pour réaliser de nouvelles économies d’échelle. Au Nigéria, les coopératives agricoles manquent des compétences de gestion et des investissements nécessaires à l’obtention de ces effets d’échelle. Cela est en partie dû au déficit de formation de leurs dirigeants. Le modèle proposé par Babban Gona (cf. Figure 1) a pour but de doter ces mini-coopératives agricoles, baptisées Trust Groups, des compétences managériales et des capacités d’investissement requises.

 

Un réseau franchisé de mini-coopératives agricoles

Babban Gona (le franchiseur) met son modèle de gestion à disposition du Trust Group (le franchisé), composé en règle générale de quatre membres, exploitant en moyenne 0,7 ha chacun. Dans ce dispositif, le Trust Group reçoit et transmet à tous ses membres un ensemble standard de produits et de services visant à l’augmentation des revenus issus des cultures de base : maïs et riz. Au départ, Babban Gona a initié en direction de la base une campagne marketing visant à inciter les dirigeants potentiels à présenter leur candidature. Pour ce faire, ils doivent se rendre dans un centre de tests, et passer une série d’entretiens destinés à évaluer leur personnalité et leurs aptitudes à réussir en tant que dirigeants de Trust Group.

Une fois le Trust Group constitué, ses membres bénéficient de la formation dispensée en ligne sur la plateforme « Babban Gona Farm University » (agronomie, culture financière, compétences de gestion et leadership). En parallèle de ces enseignements, une analyse de terrain est conduite sur le lieu d’exploitation, et permet de préparer pour les membres un programme agronomique sur-mesure. Ce programme vise à atteindre une productivité et un retour sur investissement optimaux, tout en limitant les impacts environnementaux. Il s’assortit en outre d’un plan de paiement individualisé. En s’appuyant sur l’effet vertueux des économies d’échelle et sur une plus grande efficacité des chaînes d’approvisionnement, Babban Gona est en mesure d’assurer que les produits et services concernés seront fournis à des prix très compétitifs. Enfin, pour la commercialisation, un « modèle amélioré de reçu à l’entrepôt » (Enhanced Warehouse Receipt Model) facilite les conditions d’accès au marché : un transporteur vient chercher le produit à base de maïs directement sur l’exploitation du membre concerné, et l’achemine vers un centre de regroupement où il sera calibré et pesé. Le membre se voit ensuite délivrer un reçu mentionnant la quantité et la qualité du produit qu’il a fourni. Ce dernier sert alors de caution, venant en garantie pour permettre aux exploitants d’obtenir un prêt d’avance sur récolte. Enfin, Babban Gona réalise la vente pour le compte des exploitants, sur des marchés de premier plan.

 

Les principaux défis : la rentabilité du modèle et la dimension de développement durable

Étant données la faiblesse du pouvoir d’achat et l’importante fragmentation des petites exploitations agricoles, le principal défi est d’assurer la rentabilité et le caractère durable du modèle, c'est-à-dire permettre aux membres d’atteindre une productivité optimale, tout en limitant au maximum les impacts sur l’environnement. Les principales activités de Babban Gona – à savoir le crédit sur intrants agricoles et les services marketing – assurent une plus grande efficacité dans la mise à disposition des crédits, le regroupement et la distribution des produits. Ces dernières années, Babban Gona a piloté l’extension de plusieurs secteurs d’activité, dans le but de créer son dispositif de « modèle de distribution à canaux partagés » (Shared Channel Distribution Model). Ce dernier utilise le réseau rural pour fournir des biens et services aux communautés vivant dans des zones reculées ou difficiles d’accès (agrégateur, distributeur et détaillant dits « du dernier kilomètre », cf. encadré). Ce dispositif présente l’avantage de renforcer la pérennité financière du modèle, et d’accroître le revenu net de ses membres. Ces six dernières années, Babban Gona est passé de 100 exploitations agricoles regroupées en 16 Trust Groups à 18 000 exploitations, réparties sur 4 200 Trust Groups dans trois États du Nord du Nigéria (Kaduna, Katsina et Kano). Les rendements et les bénéfices de leurs membres ont été multipliés respectivement par deux et par trois par comparaison à la moyenne nationale des exploitations nigérianes. Mais Babban Gona entend aller plus loin et toucher près de 80 000 petits exploitants agricoles d’ici à 2020. Le modèle a déjà été reproduit dans quatre hubs desservant à l’heure actuelle trois États : cela nous met résolument sur la bonne voie pour réaliser cette ambition.

Babban Gona a développé et progressivement déployé son modèle en s’appuyant sur des partenaires de premier plan, parmi lesquels des entreprises privées, des fondations et des IFD – dont la FMO néerlandaise. Cette dernière lui apporte son soutien au travers d’une facilité de 4 millions de dollars destinée au financement du programme de crédit aux exploitants (Farmer Finance). « Babban Gona constitue un modèle de prestations de services particulièrement intéressant et évolutif. Il relève les principaux défis auxquels sont confrontés les petits exploitants agricoles, dans une approche globale qui leur permet d’accéder à la fois aux intrants, aux financements, aux services d’après récolte et aux marchés. Outre l’augmentation des rendements et des revenus, ce système de franchise propose un modèle viable pour l’investissement sur le segment des petites exploitations agricoles. Le réseau est actuellement le premier producteur de maïs au Nigéria, avec un objectif de montée en puissance qui lui permettra de toucher un million de petits exploitants d’ici 2025. » (Maurice Scheepens, Chargé d’investissements pour le département Agribusiness, Food & Water à la FMO)

 

Les canaux de commercialisation du « dernier kilomètre »
  • Distributeur : offre des opportunités commerciales supplémentaires fondées localement sur une offre croisée de produits agricoles (des engrais, par exemple), proposée aux dirigeants des Trust Groups les plus performants, dans des communautés locales stratégiques à fort potentiel.
  • Détaillant : permet à des femmes situées dans l’entourage de l’exploitant membre, et recommandées par ses soins, de vendre au détail des biens de grande consommation, comme par exemple des cubes de bouillon.
  • Agrégateur : permet d’augmenter le chiffre d’affaire des exploitants membres du réseau en leur offrant de nouvelles opportunités commerciales : diversification de leurs sources de revenus par l’ajout de nouvelles cultures comme le soja ou le niébé.