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La production locale de médicaments face aux enjeux d’accessibilité : l’exemple de Pharmivoire Nouvelle

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Secteur Privé & Développement #28 - Le médicament en Afrique : répondre aux enjeux d'accessibilité et de qualité

L’accessibilité à des médicaments de qualité doit encore faire face à de nombreux défis sur le continent africain. Ce 28ème numéro de la revue Secteur Privé & Développement tente d’apporter des pistes de solution.

Pharmivoire Nouvelle est une entreprise pionnière dans la production de solutés massifs intraveineux en Côte d’Ivoire. Son expérience de 25 ans témoigne du fait que la production locale de produits pharmaceutiques est une alternative réaliste, durable et viable aux enjeux d’accessibilité, mais nécessite un soutien des pouvoirs publics pour se développer.

Pharmivoire Nouvelle est spécialisée dans la production de solutés de perfusion. Ce produit, nécessaire aux soins de santé primaire, est utilisé en milieu hospitalier chez les patients nécessitant une réhydratation par voie générale. A partir de son unité de production située dans une zone industrielle de la ville d’Abidjan, Pharmivoire Nouvelle produit annuellement près de 3 millions de poches de solutés, pour un marché dont la consommation locale est estimée entre 15 et 20 millions par an. Comme pour la plupart des médicaments, le marché est structurellement importateur sur le segment des solutés. Pourtant, la dépendance aux importations comporte de nombreux inconvénients : leur coût élevé, lié aux frais de transport ; les longs délais de livraison des commandes internationales qui ont un impact négatif sur la disponibilité ; les coûts et difficultés de stockage de ces produits pondéreux et volumineux, et les risques de contrefaçon. Face à une production locale insuffisante, l’importation s’est longtemps imposée comme une solution de recours. Néanmoins, la substitution progressive en faveur de la production locale doit guider les efforts des parties prenantes.

L’émergence d’un acteur local pour un produit essentiel

Pharmivoire Nouvelle naît en 1999 du rachat de l’outil industriel de Pharmivoire, une société opérationnelle depuis 1991. Le repreneur est la Copharm, une coopérative de pharmaciens créée en 1993 sur l’initiative du Conseil national des Pharmaciens de Côte d’Ivoire pour répondre au besoin des pharmaciens de se regrouper, de se doter d’une capacité d’investissement dans leur secteur d’activité et de combler, selon les opportunités, les maillons manquants du tissu industriel pharmaceutique ivoirien. Au cours de ses premières années d’existence, l’entreprise s’appuie sur un partenariat technique avec des acteurs sud-africains, fournisseurs de poches. Ceux-ci apportent une assistance technique consistant à renouveler des équipements et à former l’équipe de production.

Cependant, dès le début, Pharmivoire Nouvelle connaît des difficultés. Les premières productions ont du mal à être placées chez les grossistes, l’usine ayant été arrêtée pendant plus d’un an au moment du rachat. L’activité est également très affectée par le contexte de crise socio-politique en Côte d’Ivoire. En 2008, l’entreprise décide une restructuration de l’activité. La société recrute dans ce cadre un nouveau directeur général qui va conduire la restructuration avec succès. Pharmivoire Nouvelle reprend progressivement le chemin de la croissance et s’impose comme l’acteur de référence dans la production locale de solutés de perfusion.

La pertinence de la production locale

Son principal atout est celui de la proximité et de la disponibilité des stocks. Grâce à son unité de production locale, l’usine est capable de mettre le produit à disposition immédiatement après la période de quarantaine. La production locale répond ainsi au besoin des centres de santé d’avoir en permanence un médicament considéré comme essentiel, et d’éviter les risques de rupture de stock. Le soluté massif intraveineux est, en raison de ses caractéristiques, un produit dont le stockage n’est pas attractif pour les grossistes-répartiteurs. Il est essentiellement constitué d’eau, donc consommateur d’espace de stockage, alors même que les marges dégagées sont faibles par rapport aux autres médicaments. Ces mêmes caractéristiques rendent le coût de l’importation élevé, en raison du coût du fret calculé en fonction du poids et du volume. Malgré ces contraintes, les grossistes-répartiteurs ont l’obligation de disposer d’au moins trois mois de stock de façon permanente pour éviter tout risque de rupture. La production locale n’est pertinente que si elle assure l’accès aux populations à des médicaments de qualité. La démarche qualité de l’entreprise s’inscrit dans le cadre des bonnes pratiques de fabrication (BPF), référentiel réglementaire sur lequel s’appuient les inspections de la DPML, l’organisme de tutelle. Des inspections sont réalisées régulièrement et de façon inopinée. Cette rigueur dans le contrôle qualité est un avantage de la production locale par rapport aux produits importés dont on peut plus difficilement assurer la traçabilité et la fiabilité.

La phase de développement

En 2011, alors que les fondamentaux de l’entreprise sont assainis, une réflexion est engagée au niveau de la direction dans le but d’améliorer ses capacités de production. L’outil de production historique limitait les volumes produits à 3 millions de poches par an, alors que le marché local est estimé à 15-20 millions de poches par an. Le potentiel de marché s’étend à la sous-région qui importe encore largement faute d’acteurs locaux, avec une demande globale estimée entre 50 et 100 millions de poches par an. La croissance attendue sur le secteur est importante compte tenu de l’augmentation de la population, du pouvoir d’achat, de l’accès aux assurances et de l’amélioration de la couverture sanitaire. L’annonce de la mise en place de la couverture maladie universelle en Côte d’Ivoire participe à cette dynamique positive. Au vu de ce potentiel, Pharmivoire Nouvelle a conçu un projet de développement visant à moderniser l’outil de production, augmenter de façon significative ses capacités de production, et par ce biais améliorer sa compétitivité tout en réalisant des économies d’échelle. Le secteur pharmaceutique se caractérise par une forte intensité capitalistique, et le projet d’expansion de l’usine en est une parfaite illustration.

Ce projet qui porte la capacité de production à 12 millions de flacons par an a nécessité un plan d’investissement important, de l’ordre de 9 millions d’euros. Sa mise en œuvre a été possible grâce au soutien de partenaires financiers tels qu’Investisseurs et Partenaires (I&P) et la BOAD. Ces acteurs ont été attirés par la perspective de développer une industrie qui offrait une solide alternative de substitution aux importations dans un secteur clé, avec une ambition sous-régionale. Pour I&P, la perspective d’accompagner un acteur local structuré dans son développement, créer de la haute valeur ajoutée et participer au renforcement d’une industrie pharmaceutique locale à fort impact, ont été des facteurs déterminants.

Des pistes pour développer la production locale

L’accompagnement de l’Etat est capital pour permettre le développement de l’industrie locale. Il doit prendre la forme d’une orientation de la commande publique et de politiques publiques incitatives, comme cela a été fait dans d’autres pays (Maroc, Tunisie et Egypte) avec des résultats concluants. A titre d’exemple, le Maroc qui est le deuxième producteur pharmaceutique du continent après l’Afrique du Sud, a introduit le principe de la préférence nationale dans les appels d’offres publics. Le pays dispose aujourd’hui d’une quarantaine d’unités industrielles pharmaceutiques, qui répondent à plus de 70 % de la demande intérieure et en exportent une partie vers les pays voisins. Concernant la commande publique, il faut envisager des mécanismes par lesquels les centrales d’achat publiques et privées s’approvisionnent en priorité auprès des producteurs locaux, et ont recours à l’importation uniquement pour combler les volumes qui ne pourront pas être servis localement. Les attentes sont importantes au niveau de la gestion des organes publics acheteurs, tant pour la fiabilité de leurs commandes que pour le règlement dans les temps des créances qui, lorsqu’il est tardif, peut avoir de lourds impacts sur la trésorerie des entreprises productrices. Les politiques incitatives doivent tenir compte des caractéristiques et des contraintes propres à l’industrie pharmaceutique. La mise en place et le maintien des appareils de production nécessitent des investissements importants. Dans le cadre de ses opérations, un laboratoire est soumis à des contrôles stricts encadrant la mise sur le marché à la différence d’autres industries. Néanmoins, les leviers incitatifs dont les acteurs de l’industrie pharmaceutiques bénéficient sont identiques à ceux des autres acteurs industriels. Ce biais doit être corrigé pour encourager promoteurs et investisseurs à orienter des capitaux dans cette filière dont le caractère prioritaire est pourtant bien reconnu par les autorités. Aujourd’hui, des producteurs comme Pharmivoire Nouvelle visent non plus uniquement leur marché national mais sous régional. Dans la perspective d’une intégration régionale optimale, il faut rendre ce marché plus accessible en travaillant sur une harmonisation de la réglementation, par exemple en instituant une procédure unique d’autorisation de mise sur le marché (AMM) qui serait valable dans tout l’espace de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). De même, il est nécessaire de procéder à une clarification de l’arsenal douanier vis-à-vis des importations d’intrants dans la fabrication de médicaments. Ainsi, alors que les médicaments importés ne sont soumis à aucune taxe, le flou réside quant au traitement douanier de certains intrants, ce qui pénalise la fabrication locale. L’accompagnement de la filière passe enfin par des mesures favorisant l’émergence locale d’une main d’œuvre qualifiée, ce qui peut être obtenu en développant la formation initiale et la formation continue dans le secteur.