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La montée en puissance des acteurs miniers des pays émergents

Publié le

David Humphreys Maître de conférences Université de Dundee

Secteur Privé & Développement

Secteur Privé & Développement #8 - Le secteur minier, un levier de croissance pour l'Afrique ?

Souvent considérée comme étant en marge de la mondialisation, l’Afrique tient en revanche son rang dans le boom que connaît le secteur minier depuis le début des années 2000, marqué par une hausse ininterrompue des investissements dans cette industrie. Devant la demande de plus en plus forte de ressources minérales, due à la montée en puissance des pays émergents, l’Afrique, sous explorée et sous exploitée, prend des allures d’eldorado pour les petites et grandes compagnies minières originaires d’Europe, d’Amérique du Nord, et bien sûr de Chine.

Les compagnies minières des pays émergents ont bénéficié de la libéralisation des marchés et de l'envolée des prix des matières premières des années 2003-2008. Elles ont alors pu renforcer leur bilan, investir dans l'exploration et l'exploitation, sécuriser leurs approvisionnements et s'internationaliser. La récente chute des prix met en lumière les défis qu'elles doivent relever : s'assurer un accès aux financements, aux compétences et aux techniques, trouver le bon équilibre entre les attentes d'actionnaires aux motivations différentes, poursuivre leur ouverture à l'international.

Le poids des économies des pays émergents et des pays en développement dans la demande mondiale de minerais s'est particulièrement renforcé lors du boom des prix de 2003-2008. De même, la contribution de ces économies à l'offre mondiale de minerais s'est accrue depuis 2000 : ce sont elles qui sont à l'origine de l'essentiel de la croissance de la production mondiale de minerai de fer, d'aluminium, d'acier et de nickel – et de la totalité de la croissance de la production mondiale de cuivre (Figure 1).

 

Ces économies comptent dans leurs rangs les plus gros producteurs mondiaux de minerai de fer (Brésil), d'aluminium (Chine), de cuivre (Chili), d'argent (Pérou), d'or (Chine), de platine (Afrique du Sud) et de diamants (Botswana). Les dépenses mondiales en exploration – qui sont, en principe, un indicateur de l'évolution future de la production – suivent la même tendance à la hausse (Figure 2).

 

Selon Metals Economics Group (MEG, 2010), les économies émergentes représentaient environ 40 % des dépenses mondiales d'exploration au début de la dernière décennie. Au milieu des années 2000, cette proportion atteignait jusqu'à 60 %. Cette concentration de la croissance de la production  et des dépenses d'exploration n'est pas réellement surprenante. Après tout, ces pays représentent à peu près les trois quarts de la superficie du globe et – selon le United States Geological Survey (USGS, 2010) –, une proportion comparable des ressources minières mondiales (Figure 3).  

 

Pourtant, la valorisation de leurs ressources a longtemps été freinée par des connaissances géologiques insuffisantes, des infrastructures médiocres, des politiques publiques incohérentes et inefficaces et aussi par un manque de capital1. Cette situation a commencé à changer il y a peu. Les réformes libérales des années 1980 et 1990 ont en effet mis de vastes étendues de terre riches en ressources minières à la portée des investisseurs étrangers, alors que la libéralisation des marchés financiers a permis un meilleur accès, pour tous, au capital-risque2. Par ailleurs, de nombreuses entreprises de pays émergents, jusque-là très bureaucratiques et très conservatrices dans leur mode de développement, ont entrepris de se transformer en sociétés capitalistes, modernes et ambitieuses, cherchant à se développer non seulement sur leur territoire d'origine, mais aussi à l'international. Certaines d'entre elles ont alors considéré l'Afrique – et ses importantes ressources naturelles – comme étant une destination potentielle d'investissement.

 

Montée en puissance des acteurs émergents

Selon Raw Materials Group (RMG, 2009), quatre sociétés nées au sein d'économies émergentes figurent parmi les dix premiers acteurs mondiaux du secteur. Onze se classent parmi les trente premiers – trois d'entre elles étant sud-africaines (AngloGold Ashanti, Impala Platinum et Gold Fields). Plusieurs facteurs expliquent l'importance prise par ces sociétés dans le secteur. Tout d'abord, le désengagement massif de l'État a libéré le potentiel de croissance des entreprises. En effet, tant qu'elles étaient placées sous son contrôle, de nombreuses compagnies minières de pays émergents étaient condamnées à une croissance lente et à un développement local. Il leur était difficile d'accéder au capital et aux compétences ; elles se heurtaient par ailleurs à leur méconnaissance du secteur au-delà de leurs frontières. Le retrait de l'État a permis au secteur d'attirer des talents, de poursuivre des objectifs commerciaux ambitieux et de se développer. En outre, ces entreprises nationales bénéficiaient bien souvent, avant la libéralisation, d'un accès privilégié aux ressources minérales locales – sans compter que leurs dirigeants disposaient de tout un réseau d'appuis politiques, maîtrisaient les réglementations et étaient particulièrement bien informés des opportunités de développement. Ainsi, lorsque le secteur a commencé à se développer parallèlement au désengagement de l'État, ces entreprises bénéficiaient d'un solide avantage concurrentiel sur les nouveaux venus. Enfin de par leur connaissance du « terrain », elles disposent toujours d'un puissant levier dans les négociations lorsqu'elles ont besoin de faire appel à des investisseurs étrangers possédant les technologies et les compétences managériales qui leur manquent. Par ailleurs, grâce à l'envolée du prix des matières premières des années 2003-2008, les entreprises du secteur ont bénéficié d'importants flux de trésorerie et ont renforcé leurs bilans. Cette conjoncture positive, renforcée par des améliorations en matière de gouvernance d'entreprise et d'information financière, leur a facilité l'accès aux marchés financiers internationaux3. La maturation des systèmes bancaires et des marchés boursiers des pays émergents, conjuguée parfois à des taux d'épargne domestique élevés et à de faibles taux d'intérêts, a accru les financements disponibles, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. La volonté des plus grandes compagnies minières et métallurgiques des pays émergents de s'internationaliser, d'améliorer leur profil de risque par la diversification géographique et par celle des matières premières explique aussi leur importance nouvelle. L'acquisition de compétences et de technologies – appuyée tacitement, parfois, par leurs gouvernements, séduits par l'idée d'héberger un champion mondial –, renforce encore leur visibilité internationale, tout comme l'achat de sociétés locales à des prix parfois plus élevés que le marché. Lorsqu'ils acquièrent des actifs dans des pays à moindre risque ou des entreprises minières qui promettent de donner plus de stabilité à leurs résultats, les dirigeants peuvent juger justifié de payer plus cher s'ils pensent que l'amélioration du profil de risques qui en résultera permettra une meilleure valorisation de l'entreprise. Enfin, face à une demande croissante en minerais, ces sociétés cherchent à sécuriser leurs approvisionnements en matières premières, indispensables au développement de leur activité de transformation  des métaux et à leur secteur manufacturier. Les entreprises chinoises et indiennes cherchent ainsi des ressources à l'étranger afin d'alimenter leurs fonderies et leurs raffineries. Les considérations qui président à ce type d'investissement stratégique – l'importance, en particulier, de sécuriser les sources d'approvisionnement – conduisent souvent les acquéreurs à surévaluer un actif minier.

 

Les défis à relever

La chute des prix des matières premières – après leur envolée de 2003-2008 – a mis tous les producteurs en difficulté. Les marchés financiers se sont découvert une aversion au risque, qui a particulièrement touché les sociétés des pays émergents. Même les plus rentables d'entre elles, n'ayant pas de longs historiques de performances à présenter, peinent à obtenir l'appui des banques et des investisseurs. Après la crise du crédit, de nombreuses banques se sont même totalement désintéressées du secteur. Les sources de financement se sont pratiquement taries pour les sociétés de taille modeste – surtout celles qui n'en sont pas encore au stade de la production. Contrairement aux majors, dont l'actionnariat est souvent diversifié, le capital de nombreuses compagnies minières de pays émergents se concentre majoritairement entre quelques mains, l'actionnariat minoritaire étant fortement dispersé. Tant que le marché était porteur, il n'était pas difficile de concilier les intérêts de ces deux catégories d'actionnaires. Avec la diminution des flux de trésorerie et la dégradation des situations financières personnelles, les actionnaires de référence sont tentés de faire pression sur la direction pour dégager de la trésorerie à court terme. Cela peut s'opposer à un développement à plus long terme, objectif que pourraient préférer les investisseurs institutionnels minoritaires. Les entreprises des pays émergents doivent relever un troisième défi : ne pas freiner leur ouverture à l'international. Nombre d'entre elles étaient des compagnies nationales exploitant des ressources locales, pas préparées à se développer au-delà de leurs frontières. Beaucoup conservent d'ailleurs une forte orientation nationale dans leurs perspectives commerciales, voire culturelles. Le récent ralentissement sur les marchés des matières premières aggravera sans doute ces problèmes, car les phases de contraction entraînent souvent une réorganisation des priorités. Elles induisent aussi la mise en place de politiques protectionnistes favorisant l'investissement et la création d'emplois locaux – ce qui touche particulièrement les sociétés dépendantes du financement de l'État. La création de champions nationaux pourrait accentuer cette tendance : s'ils permettent la diversification en matières premières, ils contribuent peu à la diversification géographique. En fait, ils accroissent l'exposition des investisseurs à un seul pays et à une seule monnaie. Enfin, les compétences – commerciales, mais aussi techniques – des dirigeants des sociétés de pays émergents sont souvent locales. Du fait de leur manque d'expérience internationale, ils n'ont pas toujours les compétences de communication nécessaires et la sensibilité aux pratiqu es commerciales et culturelles des autres pays. Cela pèse sur leurs performances en dehors de leur pays et gêne les collaborateurs étrangers chargés de faciliter leur développement international. Ce manque d'expérience limite aussi leur participation aux organismes professionnels et publics qui traitent des problématiques du secteur et oeuvrent à l'élaboration de normes internationales. Le ralentissement économique pourrait aggraver ces problèmes. Dans un contexte de resserrement des liquidités, l'intervention d'étrangers généreusement rémunérés, en particulier, semble devoir se raréfier.

 

Spécificités des investissements et responsabilité sociale

Les effets du développement de l'investissement direct à l'étranger de type « Nord-Sud » sont abondamment étudiés (voir par exemple : Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement – CNUCED, 2007). Par contre, les effets sur le secteur minier de l'investissement direct à l'étranger provenant de pays émergents (dans une logique « Sud-Sud ») sont moins connus. En principe, les sociétés des économies émergentes connaissent les mêmes défis que les sociétés originaires d'économies développées. Pourtant, elles valorisent sans doute plus la sécurité des approvisionnements en matières premières et les perspectives commerciales ; en outre, les investissements réalisés dans le secteur font souvent partie d'accords financiers et de coopération plus larges entre États. Cette pratique de l'investissement est appréciée par certains pays riches en ressources naturelles et peut, à terme, être payante – même si le caractère politique de ces accords nécessite une gestion prudente. Pour autant, les investissements chinois dans le secteur minier ne sont pas tous de grande envergure et soutenus par l'État ; ceux portant sur l'exploitation du cobalt en Afrique, par exemple, ont été en grande partie assurés par de petites entreprises privées, dont beaucoup emploient de la main-d'oeuvre chinoise. Bien que cette caractéristique soit moins connue, les entreprises minières des économies émergentes sont souvent rompues aux problématiques de développement. Beaucoup ont été confrontées très tôt à de nombreuses responsabilités sociales dans leur pays et doivent faire face à de fortes attentes des communautés locales auprès desquelles elles travaillent. La responsabilité sociale fait partie intégrante de leur histoire et de leur nature. En se transformant en sociétés commerciales compétitives, elles ont souvent dû se désengager progressivement d'un ensemble d'activités mieux prises en charge par les autorités publiques – et financées par l'impôt. Pourtant, elles continuent de jouer un rôle important dans le développement économique des territoires où elles opèrent. De ce fait, elles auront certainement dans un avenir proche de grandes difficultés à concilier les exigences de leur activité et celles des États où elles sont implantées.

 
1 Voir à ce sujet l'article de Louis Maréchal, dans ce numéro de Secteur privé et développement.

2 Voir à ce sujet, voir l'article de Gary McMahon dans ce numéro de Secteur privé et développement.

3 Ces levées de fonds ont essentiellement pris la forme d'emprunts bancaires et d'émissions obligataires. On note cependant que Mwana Africa, en 2005, a été la première société minière créée et dirigée par des Africains cotée sur l'Alternative Investment Market de la bourse de Londres (voir l'article de Kalaa Mpinga dans ce numéro de Secteur privé et développement).  
 
 
Références



CNUCED , 2000-2007. Le marché du minerai de fer, Projet de fonds d'affectation spéciale pour la publication d'informations sur le minerai de fer, rapports, diverses éditions de 2000 à 2007. /CNUCED , 2007. Rapport sur l'investissement dans le monde : sociétés transnationales, industries extractives et développement, rapport. /MEG , 2010. World Exploration Trend, Prospectors and Developers Association of Canada International Convention, rapport. /RMG, 2009. Raw Materials Data, base de données. / USGS , 2007. Mineral commodity summaries, rapport. /World Bureau of Metal Statistics, 2000-2007. World Metal Statistics, rapports, diverses éditions de 2000 à 2007. /World Steel Association, 2000-2007. Steel Statistical Yearbook, rapports, diverses éditions de 2000 à 2007.