Partager la page

La formation des enseignants: un premier pas vers une meilleure éducation en Afrique subsaharienne

Publié le

Maria Khwaja Fondatrice et présidente Elun

Secteur Privé & Développement

Secteur Privé & Développement #23 - Social Business : entreprendre et investir autrement

Entre la logique du don et celle de la maximisation du profit émerge depuis quelques années une voie intermédiaire : celle du social business. C'est la thématique du Secteur Privé & Développement numéro 23.

Elun est une organisation à but non lucratif. Elle forme gratuitement les enseignants des pays en voie de développement. De nombreux projets sont déjà en place au Rwanda, au Pakistan, au Bangladesh et en Tanzanie. Cet article est l’occasion pour Elun d’exposer ses idées en matière d’éducation, appliquées à l’Afrique subsaharienne. Au-delà des problèmes élémentaires inhérents à ce secteur, des conseils sont clairement proposés, principalement dans la formation des enseignants, la pertinence des programmes scolaires, mais aussi dans la rentabilisation des partenariats public-privé (PPP) et secteur privé afin d’attirer les investissements.

Nul besoin de rappeler l’importance fondamentale de l’éducation pour le développement économique ou les effets néfastes d’un manque d’enseignants. Selon un rapport de l’UNESCO, au moins 93 pays souffrent d’une “pénurie aiguë d’enseignants”1 : l’Afrique subsaharienne est au sommet de ce classement puisque pas moins de 18 millions d’enseignants devront être recrutés d’ici 2030. Les données de la Banque Mondiale indiquent un ratio élève/professeur à l’école primaire d’environ 43:1 en Afrique subsaharienne alors que d’autres études ont révélé des ratios encore plus élevés allant jusqu’à 76:12 dans certains pays sub-sahariens. Alors que des enseignants moins bien formés3 ont été recrutés afin de réduire ces disparités, de nombreux élèves continuent de quitter le système scolaire sans avoir acquis les connaissances de base. En Afrique de l’Est par exemple4, “moins d’un tiers des élèves intégrés en Standard 3 maîtrisent les compétences de bases en calcul, lecture et écriture.”5 Ces multiples défis ont suscité un regain d’intérêt pour d’autres solutions telles que les partenariats public-privé (PPP). Elun a été créé en 2012 avec comme missions principales la formation d’enseignants aguerris et la conception des modules de formation dynamiques pour “enseigner aux enseignants”. Tout en élargissant son réseau d’écoles en Afrique de l’Est, Elun a été confronté aux obstacles qui entravent le développement tout enseignement de qualité. Le diagnostic qui suit permet à Elun de proposer quelques recommandations clés qui peuvent permettre d’aller de l’avant.

 

Echec du système éducatif

La majorité des graves lacunes constatées dans le système éducatif d’Afrique subsaharienne s’explique par des politiques et des systèmes défaillants voire inexistants, sans compter des méthodes d’enseignement désuètes et totalement inadaptées.

Corruption, ingérence et détournement de fonds : Comme le montrent les données de Transparency International, le détournement des fonds destinés à l’éducation constitue l’un des problèmes majeurs : il n’est pas rare de constater que certaines écoles ne voient jamais les fonds alloués qui leur sont promis. Ainsi, entre 2005 et 2009, environ 48 millions de dollars (USD) réservés au « Kenyan Education Sector Support Programme » ont été détournés6. Et lorsque les écoles perçoivent effectivement les fonds qui leurs sont alloués, ils sont souvent utilisés mal utilisés. Certaines fournitures essentielles peuvent manquer dans un établissement, quand un autre en a plus que nécessaire, tandis que les chemins de terre et des moyens de transport défaillants empêchent les enfants ne serait-ce que d’aller l’école. Les manuels et l’eau potable sont également des denrées rares. Sans meilleur garde-fous pour se prémunir de la corruption, des millions de dollars continueront à disparaître. Le laxisme des organes de régulation – ou leur absence pure et simple – démotive les enseignants comme l’atteste le fort taux d’absentéisme.

Des cursus et des méthodologies incohérentes : Le plus souvent, les systèmes éducatifs actuels sont malheureusement désuets et inadaptés aux exigences tant économiques qu’en termes de maîtrise des compétences. D’autres pays, comme Taïwan7, ont su utiliser l’éducation comme moyen pour former des travailleurs plus qualifiés et pour assurer une croissance économique rapide. , quand l’éducation des jeunes africains se limite dans la plupart des cas à écouter et répéter. Cette pratique remonte à la Révolution Industrielle et avait pour objectif de former des ouvriers ayant un niveau d’alphabétisme élémentaire et une faible capacité à innover. A cela s’ajoute une mauvaise compréhension des meilleures techniques éducatives, comme le management de la dynamique d’une classe, qui aboutissent à un système incohérent et sans but précis.

Développement professionnel et formation : Des recherches ont démontré que les enseignants les plus instruits font preuve de plus d’autonomie et d’une meilleure compréhension du lien entre cursus et méthodologie. Ces enseignants forment généralement de meilleurs élèves. Les cas de la Finlande et Singapour, où les salaires sont élevés et le professorat respecté, sont exemplaires en la matière.. Combinés à une politique publique de recrutement ainsi qu’une formation cohérentes, il en émerge des enseignants de qualité et impliqués, ainsi que d’excellents élèves8. La comparaison avec le traitement des enseignants en Afrique subsaharienne est édifiante. Les salaires ne sont pas attractifs, les infrastructures de piètre qualité, la bureaucratie est pesante, les subventions insuffisantes ou mal employées, la formation déficiente, les cursus désuets ou inexistants et, plus grave encore, les classes surchargées. La culture de l’innovation et de l’entreprenariat est virtuellement inexistante dans les salles de classe. De nombreuses écoles privées apparaissent sur le marché et proposent des frais d’inscription plus qu’attractifs, souvent au détriment d’enseignants suffisamment formés. Les enseignants ont de grandes difficultés pour appliquer ou seulement comprendre des réformes formulées dans un langage formel. Il leur est impossible de veiller aux besoins de chaque élève, à plus forte raison de ceux en difficulté, à cause de classes surchargées, sans compter un soutien parental et une discipline problématiques. Les enseignants doivent lutter pour amener les enfants à poser des questions, à trouver une réponse ou proposer une solution. Un enfant sera considéré sans hésitation comme “en retard” ou “pas au niveau” par rapport à ses camarades, tandis que dans d’autres pays on nuancera les différences de rythme d’apprentissage et la nécessité de recourir parfois au soutien scolaire. Il n’est malheureusement pas surprenant de constater que les enseignants ont souvent recours à la répétition et aux questions-réponses. Les élèves ne sont souvent perçus que comme un groupe uniforme au lieu de groupes distincts, de talents individuels. Ce système, hérité de l’ère coloniale, ne peut produire les employés dont a besoin notre économie basée sur l’utilisation de nouvelles technologies, ou encore les leaders dont l’Afrique aura besoin pour bâtir un avenir plus stable sur le plan politique.

 

De meilleurs enseignants pour une éducation de qualité

Des études américaines montrent que les enseignants dont l’efficacité est particulièrement bien notée impactent positivement la réussite d’une majorité d’élèves9. Dans les pays émergents, de meilleurs enseignants peuvent aider à compenser les différences sociales et économiques. Les enseignants sont au centre de tous les enjeux : ils doivent savoir utiliser efficacement tant les nouvelles technologies que les manuels classiques. Ils doivent également être en mesure d’appliquer les dernières réformes et de gérer les disparités entre élèves, que ce soit en termes d’apprentissage, de handicap, de différences ethniques, etc. C’est pourquoi leur formation doit être complète pour rendre l’Afrique subsaharienne attractive pour les jeunes diplômés, en se concentrant sur les opportunités d’embauche dans l’enseignement et en proposant une rémunération attractive. C’est en valorisant les enseignants et en les rendant plus autonomes que l’on peut espérer reformer le système éducatif. Des modules de formation plus complets peuvent également stimuler un changement de paradigme et la conception de stratégies plus réalistes.

Un Changement progressif pour des résultats impressionnants : Une formation d’une durée relativement courte peut suffire à stimuler la motivation et la professionnalisation des enseignants. Ce temps sera nécessaire à l’apprentissage de nouvelles méthodes d’enseignement et de quelques notions de comptabilité bénéfiques aux élèves ainsi qu’à l’ensemble de la communauté. Le recours à différentes méthodologies est essentiel pour améliorer l’apprentissage et changer les mentalités. En guise d’exemple, la formation apportée par Elun aux enseignants tanzaniens en zone rurale met l’accent sur l’importance de la gestion du « temps d’attente », qui représente le temps entre la question posée par le professeur et la réponse d’un élève. Il permet aux élèves de prendre le temps de réfléchir et renforce leur confiance en eux. Cela leur laisse aussi le temps de formaliser leurs réponses, du Kishwahili à l’anglais. De tels changements, aussi infimes soient-ils, peuvent avoir un impact colossal sur la capacité des enfants à résonner et à résoudre des problèmes. Après deux sessions de formation10 en Tanzanie, les enseignants ont manifesté leur enthousiasme pour ces nouvelles méthodes d’apprentissage qui font la part belle aux techniques d’interrogation et à la stimulation de la créativité des élèves. Du côté des élèves on constate que l’échange au sein des classes et un dialogue plus facile avec les enseignants les aide à avoir confiance en eux.

 

Les PPP comme gage de qualité

Les partenariats public-privé (PPP) apportent souvent la flexibilité et la souplesse nécessaires au triple objectif de renforcement des écoles, d’amélioration de l’enseignement et de formation des enseignants.

Régulation : Un cadre de régulation adéquat du secteur privé peut éviter beaucoup de gâchis, dégager des fonds et réduire le travail administratif. Par exemple, des auditeurs indépendants pourraient aider à lutter contre la corruption et le détournement de fonds. Le gouvernement, d’abord réticent à cette idée, pourrait être convaincu si le financement était allié à une comptabilité d’une transparence totale, et si la volonté de lutter contre la corruption et l’absentéisme se traduisait par des bourses complémentaires, des primes et des ressources allouées aux enseignants et aux établissements. La mobilisation des enseignants peut ainsi entrainer les syndicats d’enseignants à participer à cette révolution du système éducatif.

Développement des compétences : La mise en place de partenariats avec des écoles de commerce permettrait d’aligner les besoins des pays et leur mission éducative et d’encourager les jeunes talents. De tels partenariats existent déjà avec des partenaires externes et de nombreuses écoles de commerce et entreprises, comme IBM, investissent déjà en Afrique subsaharienne. Selon un rapport de la Banque Mondiale11, ce type de partenariat est indispensable pour promouvoir les compétences entrepreneuriales et la création d’emplois. L’extension de ces partenariats, s’ils concernaient tous les types d’établissements scolaires et pas seulement ceux destinés aux familles à hauts revenus, créerait des opportunités pour un plus grand nombre d’étudiants. . L’attention accrue à l’enseignement, à la formation technique et professionnelle (EFTP) use d’une stratégie similaire. Proposer une formation sans s’assurer de sa pertinence sur le marché du travail représente un mauvais investissement, surtout pour des parents aux revenus limités. Les partenariats externes ont comme autre avantage une plus grande garantie de trouver un emploi suite à une formation.

Des micro-investissements sur mesure : Les écoles et les communautés doivent être considérées de façon organique et holistique pour que les PPP complètent efficacement les financements publics. Le micro-investissement, associé à la possibilité des écoles à lever leurs propres fonds peut être la solution idéale au problème de financement du secteur de l’éducation, à condition qu’elles puissent être tenues pour responsables. Cette idée est similaire à la gestion des écoles communautaires, mais elle nécessite la régulation et l’intervention des partenaires internes et externes. En adaptant la formation des enseignants et en veillant au respect des spécificités locales, il est possible de surmonter l’incompréhension et le manque de cohérence parfois constaté dans les initiatives régionales.

La stratégie d’investissement doit cibler la formation des enseignants et être ajustée selon les spécificités locales : dans certaines écoles, les enseignants auront besoin d’une formation supplémentaire sur la méthode d’interrogation, des initiations à l’informatique ou la gestion d’une classe. Certaines écoles auront besoin de fournitures, comme des bureaux, des manuels, ou de meilleurs sanitaires. Dans tous les cas, une stratégie d’investissement ciblée permet aux entreprises et aux gouvernements de se concentrer sur une approche plus économique et plus en phase avec la réalité. Au niveau des salles de classe, un changement de mentalité et des méthodes d’enseignement peut amener à de meilleurs résultats, à faible coût. A un niveau plus global, une politique sociale plus cohérente et progressiste sera plus propice au micro-investissement, à un alignement sur le marché du travail, à la croissance économique, et débouchera sur une meilleure éducation. Une approche plus nuancée, plus cohérente et orientée sur la qualité permettra à l’Afrique subsaharienne de développer son système éducatif au lieu de se contenter de “pallier” ses lacunes.

1 Unesco : les efforts pour combler la pénurie d’enseignants se fait au détriment de la qualité. UN News Centre, Octobre 2014

2 Teaching and Learning. Achieving quality for all. UNESCO. 2013/2014

3 Une éducation de qualité nécessite des enseignants qualifiés. UNESCO Octobre 2014

4 Are our children learning? Literacy and numeracy across East Africa 2013. Uwezo

5 Cependant, dans un pays en développement, il est généralement constaté qu’après neuf années d’écoles, les élèves ne sont pas complétement alphabétisés (Hanushek & Woessman 2008). Dans Linking Education Policy to Labor Market Outcomes, Tazeen Fasi, Banque mondiale, 2008

6 Rapport mondial sur la corruption: l’éducation. Transparency International. 2013

7 The Education of Nations: How the Political Organization of the Poor, Not Democracy, Led Governments to Invest in Mass Education 1st Edition. Stephen Kosack, 2012

8 Teacher Education Around the World: Changing Policies and Practices, Linda Darling-Hammond, 2012

9 Valuing Teachers: How Much is a Good Teacher Worth? Eric Hanushek. Stanford, 2011

10 Témoignages du site Teach Elun

11 La moitié des jeunes d’Afrique subsaharienne sont hors du système scolaire. Banque Mondiale. Juillet 2015