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Fonds d'investissement dans les énergies propres : au-delà des recettes miracles, une bonne analyse des risques

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Secteur Privé & Développement

Secteur Privé & Développement #6 - Capital-investment et énergies propres : catalyser les financements dans les pays émergents

Le développement d’une économie plus sobre en carbone est essentiel pour répondre à deux impératifs majeurs auxquels nos sociétés seront confrontées au cours de la prochaine décennie : assurer l’approvisionnement en énergie (menacé par la raréfaction des ressources pétrolières), et répondre au défi climatique. La combinaison de ces deux contraintes débouche probablement sur « une nouvelle révolution industrielle », privilégiant des solutions à la fois sobres et compétitives, ouvrant la voie à de nouvelles stratégies de croissance pour de nombreux secteurs économiques. La lutte contre le changement climatique n’est pas un frein au développement économique.

Les énergies propres des pays en développement sont attractives pour les investisseurs, mais il existe peu de fonds locaux spécialisés. Les outils d'analyse sont sans doute mal adaptés, méconnaissant quatre zones de risques spécifiques : taille du fonds, compétences de l'équipe de gestion, équilibre de la stratégie et liquidité du portefeuille. Si les investisseurs s'attachent à analyser ces risques et si les gestionnaires mettent en place les dispositifs permettant de les atténuer, le secteur privé devrait s'engager plus encore dans les énergies propres des pays en développement.

Plus de 270 fonds de capital-investissement sont aujourd'hui actifs dans le secteur des technologies propres, contre sept en 2003 (Preqin, 2009). En 2009, 5,6 milliards de dollars ont été investis en capital-investissement à l'échelle mondiale dans ce même domaine, contre 8,5 en 2008 et 4,5 en 2006 (EMPEA, 2010). Bien que la crise financière apparue en 2008 n'ait pas épargné ce secteur, la baisse est cependant moins importante que pour le reste de l'industrie du capital- investissement (Preqin, 2010), témoignant de l'attention grandissante des investisseurs. Les pays émergents n'hébergent que 19 % des gestionnaires de fonds en technologies propres et ont attiré moins de 15 % des montants investis en 2008 et 2009 (EMPEA, 2010). Les fonds levés sont de surcroît en régression : 300 millions de dollars seulement en 2009 contre 1,9 milliards en 2007. Néanmoins, en 2007, deux des cinq investissements les plus importants ont été réalisés au Brésil et en Chine1. Par ailleurs, l'Asie a pris en 2009 la deuxième place dans le secteur des énergies propres avec 41,4 milliards de dollars investis2 (Bloomberg, 2010a). Les pays émergents sont ainsi sous-représentés dans le panorama des fonds de capital-investissement en énergie propres en dépit de leur attractivité dans ce secteur. Ce paradoxe ne semble pas s'expliquer par une moindre performance des fonds de capital-investissement, tous secteurs confondus, dans les pays émergents. Ainsi, l'indice de performance des fonds de capital-investissement dans les pays émergents était le seul positif en 2008 et se situe à 8,1 pour les trois dernières années contre de 1,3 à 3,4 pour l'Europe et les États-Unis (Cambridge Associates, 2010). Si des facteurs externes (cadre réglementaire, qualité des infrastructures, coûts de transaction)3 participent au déficit d'investissement, certains risques spécifiques aux fonds en énergie propre dans les pays émergents pourraient être mieux appréhendés : au delà des risques traditionnels (« risque pays », caractère récent du secteur, risque de concentration sectorielle), il est nécessaire d'adapter l'analyse pour les éléments suivants : taille critique du fonds, composition de son équipe de gestion, équilibre de sa stratégie d'investissement et liquidité de son portefeuille. Une approche adaptée de ces quatre critères peut permettre aux investisseurs de mieux analyser les propositions d'investissement et aux gestionnaires de mieux calibrer leur projet.

 

Viser la taille critique

La taille critique d'un fonds dépend en premier lieu du type de cible : les besoins en capitaux du fonds seront d'autant plus importants si les sociétés visées sont bien établies et si les secteurs choisis sont fortement capitalistiques. Un fonds investissant dans des projets d'énergies renouvelables doit disposer d'une capacité à engager des tickets unitaires d'une taille minimum significative en raison du caractère souvent fortement capitalistique des projets financés. En outre, le fonds devra anticiper le financement d'extensions successives des projets, l'augmentation de la capacité étant un des leviers d'optimisation du retour sur investissement une fois le projet en phase d'exploitation. Enfin, une certaine taille est nécessaire lorsque la stratégie vise à constituer, sous une même holding, un portefeuille diversifié d'actifs d'énergies renouvelables. Tout cela explique que, dans les pays émergents et plus particulièrement en Asie du Sud-Est, un grand nombre de fonds spécialisés se positionne sur le  comprise entre 100 et 300 millions de dollars. Pour certains gestionnaires, une stratégie de différenciation intéressante pourrait consister à monter un fonds de plus petite taille – entre 50 et 150 millions de dollars – centré sur des cibles pour lesquelles la compétition est plus limitée (par exemple, des fournisseurs et sous-traitants de producteurs d'énergies renouvelables et des projets de faible capacité). Les fonds de taille inférieure à 50 millions de dollars rencontreront toutefois des difficultés à diversifier leur portefeuille et à trouver des synergies entre leurs investissements.

 

Articuler les compétences au sein de l'équipe

Les risques opérationnels liés au fonctionnement de l'équipe d'investissement sont réels. Comme pour les autres fonds, l'alignement d'intérêts entre les parties prenantes et les mécanismes favorisant la stabilité des équipes seront recherchés. L'analyse des compétences de l'équipe pourra dépasser les critères d'évaluation classiques (capacité à identifier et structurer des transactions, etc.) pour étudier particulièrement la complémentarité des profils. Les investisseurs attendront de l'équipe une solide connaissance technique du secteur énergétique et des enjeux technologiques. En effet, l'équipe devra être capable de nouer un dialogue technique de qualité avec un développeur de projet, de superviser l'ingénierie technique et réglementaire du projet (notamment pour la phase déterminante de construction), de valoriser au mieux l'investissement, en bénéficiant d'une expérience en financement de projet. Or, même dans les pays développés, rares sont les individus dotés d'une telle polyvalence, notamment en raison de la jeunesse du secteur et des équipes en place4. Dans les énergies propres, les «premières équipes » sont souvent des experts sectoriels sans expérience de capital-investisseur, alors que les équipes expérimentées ont un savoir-faire dans le domaine du capital-investissement, mais manquent de compétences sectorielles. Il convient donc de miser sur la complémentarité des profils, tout en veillant à la cohésion des équipes. La constitution d'un comité de conseillers sera encouragée si celui-ci regroupe des personnalités universitaires et/ou politiques disposant d'une bonne connaissance du secteur, de contacts institutionnels, d'une capacité à anticiper les évolutions stratégiques et réglementaires.

 

Équilibrer la stratégie d'investissement

Comme pour tout fonds, la mise en place de ratios de diversification imposant des limites par pays, par secteurs, etc. est recommandée. L'équilibre de la stratégie d'investissement est particulièrement important pour les fonds spécialisés en énergie propre dont le ciblage sectoriel renforce le risque de concentration. Un fonds exclusivement dédié aux projets de production d'énergie renouvelable s'exposera sur l'ensemble de son portefeuille aux mêmes types de risques, particulièrement accentués dans les pays émergents (risque de construction, délais, augmentation des coûts de matières premières, risque de crédit sur la société rachetant l'énergie produite, etc.). En revanche, un fonds spécialisé en énergie propre peut adopter une stratégie diversifiée reposant à la fois sur des projets de production d'énergie (acquis à différents stades de développement), sur des acquisitions d'entreprises fournissant des produits et services au secteur des énergies renouvelables ou bien actives dans le secteur de l'efficacité énergétique. Les temps de retour seront alors différenciés au sein d'un même véhicule (Figure 1).  

 

Préparer la sortie

Se pose enfin la question de la gestion optimale des cessions du portefeuille des fonds spécialisés en énergie propre dans des pays émergents où la liquidité est moins importante qu'ailleurs. Quelques introductions en bourse ont été conduites avec succès, comme par exemple celle de la China Longyuan Power en 2009 à Hong-Kong. Ce producteur d'énergie éolienne a levé 2,2 milliards de dollars sur le Hong-Kong Stock Exchange. Il est aussi possible d'agréger des projets de production d'énergie et de les introduire ensemble en bourse5. En revanche, la possibilité d'introduire l'ensemble du fonds en bourse semble aujourd'hui assez irréaliste, malgré une timide reprise des marchés. Peu de fonds sont cotés, en dehors de quelques grands fonds spécialisés dans les infrastructures. La plupart des sorties pour les fonds d'énergie propre prendra donc la forme d'une revente à des investisseurs stratégiques. La reprise constatée6 du  volume et du nombre d'acquisitions est en ce sens un signe prometteur. Dans un contexte financier international toujours incertain, les gestionnaires devront veiller à structurer au mieux leurs transactions, via des options de vente par exemple, et à développer et entretenir des contacts avec les industriels, notamment les sociétés de production et de distribution liées à l'énergie conventionnelle. Ces dernières ont la capacité financière de racheter des actifs dans le secteur des énergies renouvelables, contribuant ainsi par ailleurs à « décarboner » progressivement leur activité. L'apport de capital privé joue un rôle fondamental dans la mise en place de structures énergétiques efficaces et sobres en carbone dans les pays émergents et en développement. Les investisseurs souhaitant accroître leur exposition au secteur des énergies propres dans ces zones en forte croissance pourraient revoir leurs outils d'analyse en prêtant attention tout particulièrement à la taille critique du fonds, aux compétences de l'équipe et aux stratégies d'investissement et de cession. Si, parallèlement, les gestionnaires mettent en place les dispositifs humains, juridiques et financiers à même de limiter ces risques, le contexte sera alors pleinement favorable à une augmentation des projets et des investissements dans les énergies propres dans les pays en développement et émergents.

 

Les différents secteurs et leurs liens

Le terme d'énergie propre ou « sobre en carbone » (clean energy) recouvre la production d'énergie (électricité, chaleur, etc.) à partir de sources renouvelables, ainsi que l'efficacité énergétique.

L'énergie renouvelable – 80 % des investissements mondiaux au sein du secteur des énergies propres (Bloomberg, 2010b) – est produite à partir des énergies éolienne, solair e, hydraulique, marémotrice, géothermique, ou encore à partir de biomasse.

L'efficacité énergétique est le rapport entre l'énergie produite par un système dans un but précis par rapport à l'énergie consommée. La réduction des pertes en ligne dans les réseaux d'électricité ou l'isolation thermique des bâtiments permettent d'accroître l'efficacité énergétique.

Le terme technologies propres (clean tech) englobe l'ensemble des technologies permettant de remplacer ou d'améliorer des matériaux, produits ou processus en réduisant leur impact environnemental. Bien que très largement nourri par les énergies propres, il englobe d'autres domaines, comme les services environnementaux.

 

1 Cette année-là, Brazilian Renewable Energy (éthanol) a levé 200 millions de dollars et Yingli Green Energy (panneaux photovoltaïques) 118 millions de dollars.

2 Ces montants incluent les montants investis en capitalinvestissement, sur les marchés boursiers, en financement de projets, en fusionsacquisitions ainsi que sur les marchés carbone.

3 Lire sur ces points les articles d'Éric J.F. Francoz, de Duncan Ritchie, ainsi que celui de Philippine de T'Serclaes et Cédric Philibert dans ce numéro de Secteur privé et développement.

4 27 % des fonds orientés sur les infrastructures levés en 2007 et 2008 l'ont été par des « premières équipes » et 42 % par des gestionnaires n'ayant jamais investi dans les infrastructures auparavant (EMPEA, 2010).

5 L'exemple de Greenko, présentée dans l'article de Jean-Pascal Tranié et Vivek Tandon dans le présent numéro de Secteur privé et développement, illustre bien cette stratégie.

6 En Inde, Green Infra, un producteur d'électricité détenu par le fonds IDFC, a acquis en septembre 2009 pour près de 75 millions de dollars auprès de BP Energy India trois fermes éoliennes [100 mégawatts(MW)]. Le fonds BTG Pactual, a investi environ 170 millions de dollars en octobre 2009 dans ERSA, producteur brésilien d'énergie hydraulique (portefeuille de projets de plus de 500 MW).

 

Références

Bloomberg, 2010a. Bloomberg New Energy Finance Summit – Results Book 2010, Bloomberg, Londres / Bloomberg, 2010b. Bloomberg New Energy Finance Summit – Fact Book 2010, Bloomberg, Londres / Bloomberg, 2010c. Bloomberg New Energy Finance Summit – Clean Energy League Tables, Bloomberg, Londres / Cambridge Associates, 2010. PE Returns in the Emerging Markets reality vs wishful thinking, IFC/EMPEA 12 Global PE Conference, document de travail / Carmody, J., Ricthie, D., 2007. Investing in Clean Energy and Low Carbon Alternatives in Asia, BAD, rapport. / EMPEA, 2010. Cleantech, EMPEA Insight, avril. / Preqin, 2009. The 2009 Preqin Private Equity Cleantech Review, rapport / Preqin, 2010. Preqin Special Report: Private Equity Cleantech, avril.