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Financer les PME dans un contexte de forte asymétrie d'information

Publié le

Julien Lefilleur Responsable de la division Manufacturier, Agro-industriel et Services Proparco

Secteur Privé & Développement

Secteur Privé & Développement #1 - Le financement des PME en Afrique Subsaharienne

Le secteur privé représente un outil puissant de développement pour les pays pauvres, à la fois principal moteur de croissance et de création d’emplois et relais des politiques publiques grâce notamment aux partenariats public-privé. Dans de nombreux pays, il contribue d’ailleurs à la fourniture de services essentiels. Enfin, même dans les pays les plus pauvres, les flux privés externes (investissement direct étranger et flux de migrants) et internes (épargne et investissement local) sont sans commune mesure avec les montants de l’aide publique au développement.

La forte asymétrie d'information entre banquiers et entrepreneurs est un obstacle important au financement des PME en ASS. Le développement de systèmes financiers plus adaptés aux contextes locaux peut néanmoins permettre de réduire la distance entre banques et PME. En outre, la promotion de fonds de garantie pérennes, s'appuyant par exemple sur les principes de la microfinance, pourrait contribuer à résoudre le problème de sécurisation des crédits. En réduisant les risques perçus par les banques, ces pistes peuvent permettre d'améliorer l'accès aux financements pour les PME.

Malgré leur poids dans les économies locales et en dépit de leur rôle moteur en termes de développement économique, les PME ont un accès très limité au marché des financements en ASS. D'une part, le taux de pénétration bancaire en ASS est très faible – le total des prêts au secteur privé ne s'élève qu'à 18 % du PIB en moyenne (Banque Mondiale, 2006) – ; d'autre part, ce sont principalement les grandes entreprises qui bénéficient de la majorité des financements. Selon plusieurs études (Africapractice, 2005 ; FMI, 2004 ; Aryeetey, 1998 ; Banque Mondiale, 2006), les difficultés d'accès aux finance¬ments sont le premier obstacle au développement des PME d'ASS, assez loin devant les problèmes de corruption, de déficience des infrastructures ou de fiscalité abusive. Ces études estiment que 80 à 90 % des PME connaissent des contraintes de financement importantes.

Cette situation se conçoit aisément si l'on considère la forte réticence des banques d'ASS vis-à-vis des PME qui transparaît clairement dans les critères d'éligibilité et d'accessibilité définis par celles-là. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la frilosité des banques à l'égard des PME : l'effet volume, qui induit des coûts unitaires élevés, le risque que représentent ces contreparties, l'insuffisance de ressources à long terme des banques, l'asymétrie d'information entre entrepreneurs et banquiers ou encore la difficulté à sécuriser les crédits sur les PME (Lefilleur, 2008). Cet article se concentre sur ces deux dernières contraintes qui semblent avoir un effet particulièrement dissuasif puisqu'elles conduisent les banques à surévaluer les risques. Alors que la plupart des autres obstacles apparaissent difficiles à maitriser, dans la mesure où ils sont structurels aux marchés d'ASS, les risques qui découlent de l'asymétrie d'information et des difficultés de sécurisation semblent pouvoir être minimisés par le développement de systèmes financiers plus adaptés à l'environnement local. Cet article explore donc plusieurs pistes pour atténuer ces risques.

 

Asymétrie d'information et insuffisante sécurisation des crédits

Plusieurs éléments, spécifiques au contexte d'ASS, sont à l'origine de l'asymétrie d'information entre entrepreneurs et banquiers. Tout d'abord, la majorité des PME évolue dans le secteur informel et n'est donc pas en mesure de communiquer aux banques l'information minimum habituellement requise par ces dernières (coordonnées, documents légaux, états financiers, …). De plus, pour les PME qui évoluent dans le secteur formel, l'absence de normes comptables – ou au contraire le niveau excessif de l'information comptable exigée dans le cas de l'Afrique centrale et de l'Ouest par les normes OHADA – ainsi que l'insuffisance de cabinets comptables indépendants, compétents et crédibles ont un impact sur la qualité de l'information financière transmise aux banques (Kauffmann, 2005 ; FMI, 2006).

Par ailleurs, les entrepreneurs peuvent trouver un intérêt à diffuser une information financière très restreinte, voire erronée, afin d'échapper à la fiscalité. Enfin, il n'existe souvent aucun outil permettant aux banques de connaître les comportements de paiement de leurs nouveaux clients. Les centrales des risques ou centrales des incidents de paiement sont soit inexistantes, soit inopérantes. Dans ce contexte, la communication informelle entre la banque et l'entrepreneur doit permettre de pallier la déficience des canaux classiques de communication. La réputation de l'entrepreneur et sa proximité au banquier sont des éléments au moins aussi importants que la qualité des états financiers transmis à la banque.

Dans ce contexte de forte asymétrie d'information, la prise de garantie devrait permettre d'atténuer le risque encouru par la banque. Néanmoins, les sûretés réelles ont en général une très faible valeur de réalisation : les actifs corporels (hors terrains) ont une valeur marchande quasi nulle car l'étroitesse des marchés fait qu'ils trouvent difficilement des acheteurs tandis que les terrains (quand les titres fonciers existent) ou baux (quand ils ont fait l'objet d'un contrat dûment enregistré) ne peuvent être généralement cédés sans l'obtention d'agréments de la part des autorités publiques, ce qui est dans la plupart des cas long et difficile. La présence d'un collatéral apparaît donc souvent comme une condition nécessaire à l'octroi d'un prêt (Africapractice, 2005), ce qui exclut une majorité d'entrepreneurs ne disposant pas de ressources suffisantes. Dans tous les cas, la complexité et les délais des procédures d'enregistrement des sûretés et des procédures de recouvrement, notam¬ment par rapport aux montants mis en jeu, ainsi que la faiblesse des systèmes judiciaires et l'incertitude sur l'issue des procédures de recouvrement font que la prise de garantie n'apparaît pas être un bon moyen pour atténuer le risque de la banque (FMI, 2006).

 

Réduire la distance entre banques et PME

Cette forte asymétrie d'information, qui ne peut pas être compensée par une sécurisation satisfai¬sante des crédits, a deux implications importantes. Tout d'abord, elle augmente les coûts de transaction (évaluation et suivi du risque), ce qui entraîne un problème de rendements d'échelle étant donné les faibles montants engagés. Ensuite, elle conduit à une évaluation incertaine des risques, qui se traduit souvent par leur surévaluation par les banques. Cette surévaluation des risques, associée aux surcoûts opérationnels qu'implique le crédit aux PME, conduit les banques à éviter ces contreparties ou bien à proposer des taux trop élevés. L'amélioration de l'accès des PME au marché des financements passe ainsi inévitablement par une réduction de l'asymétrie d'information entre intermédiaires financiers et PME. Une solution consiste à encourager le développement de banques commerciales de taille plus modeste ou de banques rurales, idéalement à capitaux locaux, afin de réduire la distance économique, géogra¬phique et culturelle entre banques et PME (Kauffmann, 2005).

Pour les banques traditionnelles, souvent à capitaux étrangers, qui souhaitent approcher les PME, le développement d'unités de crédit aux PME apparaît être une solution de plus en plus répandue. Dans certains cas, comme au Nigéria, ces unités peuvent même être communes à plusieurs banques. Pour accompagner le développement rapide de ces structures en ASS, les bailleurs de fonds mettent en place des programmes d'assistance technique visant à renforcer les capacités des banques dans l'exercice du métier de crédit aux PME. Spécialisées dans les PME, ces unités peuvent répondre à leurs besoins et même dans certains cas dispenser une assistance technique aux entrepreneurs. Une pratique également de plus en plus adoptée par les banques commerciales traditionnelles pour se rapprocher des PME, consiste à collaborer avec certaines institutions ayant a priori une meilleure connaissance de ces contreparties comme les ONG, les prestataires de services non financiers, les institutions de microfinance (IMF), les sociétés de crédit-bail ou les fédérations de PME.

La collaboration est bénéfique pour les deux parties : ces institutions ont de faibles capacités de financement faute de ressources mais une bonne connaissance des petits entrepreneurs et une grande expérience du travail de proximité, ce qui fait défaut aux banques qui disposent elles en revanche de ressources. Ces partenariats doivent être encouragés car ils sont généralement fructueux. Dans la même logique, un autre moyen de réduire l'asymétrie d'information consiste à augmenter le nombre d'intermédiaires entre le prêteur et l'emprunteur final. Les banques peuvent ainsi prêter à des agents reconnus qui ont un meilleur accès aux PME (coopératives, associations professionnelles…). Le partenariat développé entre la Barclay's Bank of Ghana et les associations de “Susu collectors” ghanéennes illustre par exemple ce modèle (Banque Mondiale, 2006).

 

Développer des mécanismes de garantie plus performants

Une solution pour réduire l'aversion des banques aux PME consiste également à développer des mécanismes de garantie plus fiables et permet¬tant aux prêteurs de ne pas être dépendants des administrations judiciaires souvent défaillantes lorsqu'il s'agit d'actionner les sûretés classiques. Dans cette optique, de nombreux fonds de garantie “indépendants” dédiés aux PME se sont développés au cours des années quatre-vingt-dix. Ces organismes ont permis de répondre à un réel besoin des banques ce qui s'est traduit par un accroissement de leurs engagements sur les PME. Les fonds de ce type qui ont vu le jour en ASS peuvent se répartir en quatre catégories.

La première regroupe les fonds nationaux, régionaux ou panafricains issus de l'initiative des autorités publiques locales en coopération parfois avec des bailleurs de fonds. Le Fonds de Garantie Malgache et le Small Business Credit Guarantee en Namibie (fonds nationaux) ainsi que le Fonds de Solidarité Africain et le Fonds Africain de Garantie et de Coopération Economique (fonds panafricains) appartiennent par exemple à cette catégorie. La deuxième catégorie comprend les fonds créés à l'initiative des bailleurs de fonds comme le Fonds de Garantie des Investissements Privés en Afrique de l'Ouest (Fonds GARI, géré par la BOAD), le fonds ARIZ (géré par l'AFD) ainsi que les fonds de l'USAID et de la SFI par exemple. Le troisième groupe concerne les fonds mis en place par les banques commerciales des pays. Ces fonds sont plus rares mais existent par exemple au Nigéria. Enfin, les fonds établis par des groupements professionnels homogènes et inter-dépendants for¬mant des coopératives constituent une quatrième catégorie de fonds. Ce dernier type de fonds de garantie – les sociétés de garantie mutuelle – est encore très peu développé en ASS mais présente un intérêt particulier du fait qu'il s'appuie sur un principe qui a fait ses preuves : les promoteurs sont également les clients (De Gobbi, 2003).

De ce fait, ces sociétés de garantie mutuelle reposent sur l'inter-dépendance des différents membres, ce qui induit la solidarité entre ces membres, à l'instar des IMF, des tontines en Afrique de l'Ouest ou des stokvels en Afrique australe. Devant le succès des IMF, certaines banques d'ASS commencent donc à appliquer les principes de la microfinance au financement des PME en encourageant le développement de grappes d'entreprises liées les unes aux autres et qui alimentent un fonds de garantie mutuelle permettant à la banque de couvrir ses prêts. La menace d'exclusion du réseau est alors suffisamment forte pour faciliter l'exécution des contrats par les emprunteurs. Les interactions répétées avec l'établissement financier, ainsi que les effets de réputation au sein de la grappe, peuvent considérablement renforcer la confiance entre les entreprises et les établissements financiers. Cela facilite l'accès au crédit à des taux d'intérêt moins élevés. Le fort développement de ces sociétés de garantie mutuelle en Asie, en Amérique du Sud, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient (De Gobbi, 2003) témoigne de l'efficacité de ce type de fonds pour lut¬ter contre le problème d'accès aux financements des PME.

 

Références / Africapractice, 2005. Access to Finance: Profiles of African SMEs, document de travail préparé pour Jetro London, disponible sur http://www.africapractice.com/uploads/JETRO.pdf. / Aryeetey, E., 1998. Informal Finance for Private Sector Development in Africa, Banque Africaine de Développement, Economic Research Papers n° 41./ Banque Mondiale, 2006. Making Finance Work for Africa, Banque Mondiale. / Banque Mondiale 2008. Finance for All, Banque Mondiale./ De Gobbi, M.S., 2003. Mutual Guarantee Associations for Small and Micro-Entrepreneurs: Lessons Learned from Europe and Africa, African Development Review n° 15 (1) p.23-34 / Fonds Monétaire International, 2004. Republic of Mozambique : Financial System Stability Assessment Including Report on the Observance of Standards and Codes on the following topics: Banking Supervision, Payment Systems, and Anti-Money Laundering and Combating the Financing of Terrorism, IMF Country Report 04/52, FMI. / Fonds Monétaire International, 2006. Central African Economic and Monetary Community: Financial System Stability Assessment, including Reports on the Observance of Standards and Codes on the following topics: Monetary and Financial Policy Transparency, and Banking Supervision, IMF Country Report 06/321, FMI. / Kauffmann, C., 2005. Le financement des PME en Afrique, OCDE, Repères n°7./ Lefilleur, J., 2008. Comment améliorer l'accès au financement pour les PME d'Afrique subsaharienne ?, Afrique contemporaine 227, 153-74.