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Facteurs clés de succès des producteurs indépendants en Afrique subsaharienne

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SPD18

Secteur Privé & Développement #18 - Les producteurs privés d’électricité : une solution pour l’Afrique ?

Ce numéro interroge la pertinence et les conditions d’une intervention accrue du secteur privé dans la production électrique. Face à cet enjeu majeur qu’est le déficit électrique en Afrique subsaharienne, le développement de partenariats public-privé semble être la meilleure solution.

Les producteurs indépendants d'électricité pourraient contribuer encore plus au développement de la capacité de production électrique en Afrique subsaharienne. Il reste néanmoins un long chemin à parcourir avant qu'ils puissent jouer un rôle majeur. L'analyse d'une trentaine de projets implantés en Afrique subsaharienne met en lumière  les aspects essentiels favorisant leur développement dans cette région.

En Afrique subsaharienne, seule 30 % de la population a accès à l'électricité1. Selon les estimations, ce sont près de 7 000 mégawatts (MW) qui doivent être ajoutés chaque année sur la période 2005 à 2015 pour répondre à la demande insatisfaite et renforcer les capacités de production. Cela implique un investissement d'environ 40 milliards de dollars par an (Eberhard et alii, 2011), dont 27 milliards pour l'investissement dans les actifs2. Ce chiffre correspond à 6,35 % du PIB de l'Afrique. Actuellement, les dépenses d'investissement concernant l'électricité sont estimées à 4,6 milliards de dollars par an, dont 50 % sont couverts par des ressources publiques. L'investissement privé doit donc se renforcer rapidement – notamment à travers des partenariats public-privé. Au début des années 1990, les institutions de développement, qui s'étaient en grande partie retirées du financement de projets publics, incitèrent un certain nombre de pays à adopter des plans ouvrant la voie à la participation du secteur privé et à la concurrence dans les systèmes électriques. Les producteurs d'énergie indépendants sont devenus une priorité dans le cadre de la réforme globale du secteur de l'électricité. Ils représentaient la solution aux difficultés d'approvisionnement persistantes, offraient un point de comparaison avec les opérateurs publics et contribuaient à introduire progressivement la concurrence. Depuis les années 1990, une trentaine de projets de taille moyenne à importante – supérieurs à 40 MW et connectés au réseau3 (voir Tableau 1) – ont vu le jour dans onze pays, pour une augmentation totale de la capacité d'environ 4,7 gigawatts (GW) (Eberhard, A., 2013).

 

Cependant, les producteurs indépendants ne représentent toujours qu'une infime partie de ce secteur. Plusieurs facteurs ont joué un rôle crucial dans la mise en place des projets existants : la manière dont la planification, la sélection des projets et la négociation des contrats s'articulent; le rôle des institutions financières de développement; les antécédents des investisseurs en matière de développement ainsi que les outils de rehaussement de crédit. Il existe un certain nombre de succès notables, notamment au Kenya, en Afrique du Sud et potentiellement au Nigéria – des pays dont les politiques innovantes peuvent être répliquées.

Climat d'investissement et réglementation claire

Dans plusieurs pays d'Afrique subsaharienne, les projets de production privée d'électricité ont vu le jour dans un climat d'investissement difficile. Pour attirer les investisseurs privés, les pays ont mis en place des incitations fiscales. La convertibilité de la monnaie locale a été garantie pour pratiquement l'ensemble des projets. La demande de projets privés dépassant l'offre, les pays dont les profils d'investissement étaient plus avantageux ont attiré un plus grand nombre d'investisseurs et ont pu conclure des contrats à des conditions plus favorables. L'équilibre entre risque et rétribution – un facteur essentiel pour les investisseurs – passe par la garantie d'un environnement d'investissement stable et prévisible. La définition de nouvelles politiques et d'une réglementation claire a également été un facteur clé de succès. Bien que la plupart des pays aient instauré une législation autorisant la production d'électricité par le secteur privé, peu en réalité sont parvenus à mettre en place un cadre clair et cohérent. Par ailleurs, les services publics en place continuent de jouer un rôle déterminant. En Afrique, le modèle de réformes standard – dégroupage de la production, du transport et de la distribution ; introduction de la concurrence et du secteur privé à tous les niveaux – n'est jamais pleinement appliqué (NU-CEA/PNUE, 2007 ; Malgas et alii, 2007 ; Gratwick, K.N., Eberhard, A., 2008). Néanmoins, la quasi-totalité des pays qui ont entamé des réformes ont mis en place des régulateurs indépendants, ayant pour mission de répondre aux risques auxquels les producteurs privés sont confrontés (changements arbitraires de règles, pouvoir discrétionnaire excessif en matière de prix). Les régulateurs indépendants contribuent également à la transparence globale qu'attendent les investisseurs. La présence d'un régulateur ne constitue pas en soi un facteur déterminant pour attirer les producteurs privés, mais elle contribue à préserver un équilibre satisfaisant entre toutes les parties prenantes.

Établir un lien entre planification, sélection des projets et négociation de contrats

Intimement dépendante de politiques publiques bien réfléchies, la planification du secteur de l'électricité est elle-même liée aux modalités de sélection et à la contractualisation de ces projets. Dans l'idéal, la planification doit permettre de définir une norme de sécurité énergétique, de réaliser des prévisions détaillées de l'offre et de la demande, d'élaborer un plan à moindre coût, de clarifier la répartition de la production entre secteurs privé et public, d'organiser les processus d'appels d'offre pour les nouvelles installations. Confier à une seule agence la planification et les passations de marché est un des aspects les plus importants d'une planification cohérente (voir encadré) (Malgas, I., Eberhard, A., 2011.). Trop souvent, malheureusement, la planification ne se traduit pas par la mise en place en temps utile de processus d'appels d'offres pour les nouvelles centrales. La capacité de négociation avec les soumissionnaires retenus ou à conclure des contrats durables est, par ailleurs, souvent assez faible. Des conseillers externes sont parfois nommés, mais ils n'interviennent souvent que ponctuellement. Les marchés de l'électricité hybrides, composés d'acteurs privés et publics, posent de nouveaux défis. Les politiques publiques, les modalités de gouvernance, le fonctionnement institutionnel doivent être clairement définis pour que les responsabilités soient précisément attribuées – qu'il s'agisse de la planification, de la passation des marchés ou de la négociation de contrats d'une nouvelle centrale. Il est également impératif d'établir des liens efficaces entre ces trois fonctions. Dans certains pays, le manque de fiabilité des prévisions de l'offre et de la demande – accentué par des sécheresses prolongées – a conduit à la construction, dans l'urgence, de centrales privées, ce qui a un coût. Bien qu'il soit facile, rétrospectivement, d'accuser les décideurs d'avoir agi imprudemment, la multiplication des délestages et des coupures de courant ne laissait guère d'autres choix (Eberhard et al., 2011)4. Toutefois, une amélioration de l'organisation et une  planification en amont auraient pu limiter ce type de situation.

Approvisionnement en combustible et contrats d'achat d'électricité

La disponibilité en combustible à un tarif compétitif constitue un facteur déterminant dans la manière dont les producteurs indépendants sont perçus. Le combustible est généralement un coût transféré à l'acheteur public, et dans de nombreux cas, au consommateur final. Les producteurs privés ont contribué à la diversification énergétique de certains pays. Cependant, comparés à ceux des centrales publiques (souvent des centrales hydrauliques déjà amorties), leurs coûts apparaissent plus élevés – en partie du fait du coût du combustible. Aux yeux des consommateurs, donc, les producteurs indépendants « tirent les prix vers le haut », ce qui rend l'appui du public bien difficile à obtenir. Par contre, lorsque les producteurs privés disposent d'un combustible bon marché, leurs chances de réussite augmentent. Les conditions du rachat de l'électricité sont également décisives. Tous les projets évalués faisaient état de contrats d'achat d'électricité avec la société nationale d'électricité – ce qui garantit la régularité des revenus pour les prêteurs et les investisseurs. Le contrat d'achat d'électricité joue un rôle central5. Dans certains cas, il a été au centre des discussions lorsque les parties estimaient que les accords étaient déséquilibrés.

Une origine commune de la dette et des fonds propres

Les entreprises étrangères dominent la production privée d'électricité en Afrique subsaharienne. Cela n'a rien d'étonnant, compte tenu de la limitation des capitaux disponibles localement. Cependant, l'expérience du producteur indépendant dans le pays d'investissement et les antécédents de l'investisseur en matière de développement semblent plus révélateurs que leurs nationalités. Ainsi, Globeleq, IPS et Aldwych International sont tous issus, à l'origine, d'organismes fortement impliqués dans le développement social et économique. Globeleq reste détenu à 100 % par Actis, qui est une émanation du programme du Département britannique du développement international (DFID) assurant la promotion du secteur privé. IPS est la branche opérationnelle du Fonds Aga Khan pour le développement économique (AKFED), qui investit uniquement dans des projets à fort impact développemental. Enfin, Aldwych International est une initiative de la banque de développement néerlandaise FMO. Les projets mis en œuvre par ces sociétés doivent avoir un sens d'un point de vue commercial, mais ils doivent également jouer un rôle en termes de développement. Pratiquement aucun des projets financés par ce type de sociétés n'a fait l'objet de modifications de leurs conditions contractuelles ; sans doute les partenaires locaux considèrent-ils ces accords comme plus équilibrés. Le financement de la dette – qui représente souvent plus de 70 % des coûts totaux – constitue également un facteur déterminant dans la réussite des projets. En Afrique, les clés de ces financements reposent sur l'engagement des institutions financières de développement (IFD), les outils de rehaussement de crédit et une certaine souplesse dans les conditions générales pour permettre un refinancement. La prime de risque exigée par les financeurs ou plafonnée par l'acheteur doit correspondre aux risques réels associés au pays et au projet, sans être majorée. Il est important de parvenir à un équilibre global entre la réussite de l'investissement et les objectifs de développement. Les financements par les IFD sont longs à finaliser mais ils présentent de réels avantages. Cet appui permet de résister plus efficacement aux velléités de renégociation en cas de difficultés dues à des facteurs externes. Ce fut le cas au Kenya, par exemple, où les producteurs ont été soumis à des pressions pour baisser les prix du fait de la sécheresse. Le principal inconvénient de ces financements étrangers tient au fait qu'ils sont généralement libellés en devises fortes, ce qui impose d'établir les contrats d'achat d'électricité dans la même devise. Cela a un impact négatif sur les tarifs en cas de dévaluation des monnaies locales.

Rehaussements de crédit et garanties

  Le risque de crédit sous-jacent lié aux projets est largement couvert par une série de rehaussements de crédit tels que les comptes bloqués, les lettres de confort des États, les garanties de risque partielles ou souveraines, l'assurance du risque politique, etc. Le soutien des pouvoirs publics continue d'être considéré par les institutions de développement et les investisseurs comme le plus important (Banque mondiale, 2010). Le niveau de ce soutien n'a que très peu évolué, tous les producteurs privés bénéficiant d'un contrat d'achat d'électricité et le risque de crédit étant en grande partie supporté par une garantie gouvernementale. Il est important de chercher à combler l'écart entre la perception du risque par les investisseurs d'une part et celle des gouvernements des pays d'accueil d'autre part – sans quoi, la révision des contrats constatée sur certains projets pourrait bien se poursuivre. Le moyen d'y parvenir ne peut pas uniquement résider dans la mise en place de nouvelles protections, mais plutôt dans la mise en oeuvre systématique des nombreux éléments qui contribuent à la réussite de ces projets.

Planification, sélection des projets et négociation de contrats au Kenya

La législation sur l'électricité kenyane attribue la responsabilité de la planification électrique à l'Energy Regulatory Commission (ERC). Consciente du fait qu'elle ne dispose ni de la capacité en interne, ni des ressources, ni des outils de planification nécessaires pour élaborer des plans détaillés et actualisés, l'ERC convoque et dirige un comité de planification composé des ministères concernés et d'entreprises publiques. Avec l'assistance de la Banque mondiale, la Kenya Power and Light Company (KPLC) a aidé ce comité à élaborer des plans à moindre coût. En 1997, KPLC a abandonné la production, aujourd'hui assurée par KenGen. Elle bénéficie donc d'une position neutre entre le service public, KenGen et les producteurs indépendants. Le ministère de l'Énergie attribue les projets de constructions nouvelles à KenGen ou, par le biais d'un processus d'appel d'offres, à des producteurs privés. KPLC est également chargé de la sélection des projets privés et de la négociation des contrats avec les producteurs indépendants. Les documents de soumission et les contrats d'achat d'électricité ont en grande partie été standardisés. Les sponsors de projets privés ont désormais une vision plus claire du mode de fonctionnement du processus de sélection de nouvelles centrales au Kenya.

 

1 Contre la moitié en Asie du Sud et plus des quatre cinquièmes en Amérique latine.

2Le reste est consacré à l'exploitation et la maintenance.

3 Cet article traite des projets raccordés au réseau, supérieurs à 40 MW, assortis de contrats d'achat d'électricité à long terme avec le service public, dont le financement a été accepté et qui sont en construction, opérationnels, finis ou conclus à compter de la fin du second trimestre 2013.

4 Le coût de l'approvisionnement d'urgence reste inférieur aux coûts engendrés par l'absence d'électricité. La valeur de l'énergie non fournie et des coupures de courant dans les pays d'Afrique subsaharienne est estimée en moyenne à 2,1 % du PIB.

5  En plus d'indiquer qui achète l'électricité, les contrats d'achat d'électricité précisent la capacité de production disponible ainsi que le tarif. Figurent également clairement dans ces contrats : la mise en service des centrales, le dosage du combustible, l'interconnexion, l'assurance, la clause de force majeure, le transfert, la résiliation, le changement de dispositions légales, les modalités de refinancement et la résolution de conflits. Les dispositions de limitation des risques incluses dans les contrats d'achat d'électricité prévoient des sanctions en cas d'interruption de la production des centrales et des sanctions plus sévères en cas d'échec des centrales, ainsi que des dispositions de rachat de l'actif.

 

RÉFÉRENCES:

Banque mondiale, 2010. Communication personnelle du 17 mai, objet : credit enhancements and security arrangements. 

Eberhard, A., 2013. Feed-In Tariffs or Auctions, Procuring Renewable Energy Supply in South Africa, Viewpoint, Banque mondiale, Washington, D.C. 

Eberhard, A., Rosnes, O., Shkaratan, M., Vennemo, H., 2011. Africa's Power Infrastructure: Investment, Integration, Efficiency, Banque mondiale, Washington D.C. 

Gratwick, K.N., Eberhard, A., 2008. Demise of the standard model for power sector reform and the emergence of hybrid power markets, Energy Policy 36. 

Gratwick, K.N., Eberhard, A., 2011. When the Power Comes, An analysis of IPPs in Africa. Octobre 2011 et mis à jour en juillet 2013. 

Malgas, I., Gratwick, K.N., Eberhard, A., 2007. Moroccan Independent Power Producers: African Pioneers. Journal of North African Studies 13 (1). 

Malgas, I., Eberhard, A., 2011. Hybrid Power Markets in Africa: Generation Planning, Procurement and Contracting Challenges. Energy Policy 39, forthcoming. 

NU-CEA/PNUE, 2007. Making Africa's power sector sustainable. An analysis of power sector reform in Africa. Addis Abeba, Ethiopie. Septembre.

 

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