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Comment mettre les ressources minières africaines au service d'un développement durable ?

Publié le

Louis Maréchal Consultant MAEE

Secteur Privé & Développement

Secteur Privé & Développement #8 - Le secteur minier, un levier de croissance pour l'Afrique ?

Souvent considérée comme étant en marge de la mondialisation, l’Afrique tient en revanche son rang dans le boom que connaît le secteur minier depuis le début des années 2000, marqué par une hausse ininterrompue des investissements dans cette industrie. Devant la demande de plus en plus forte de ressources minérales, due à la montée en puissance des pays émergents, l’Afrique, sous explorée et sous exploitée, prend des allures d’eldorado pour les petites et grandes compagnies minières originaires d’Europe, d’Amérique du Nord, et bien sûr de Chine.

Depuis 2003, la demande en ressources minérales est tirée par la croissance des pays émergents. Elle ouvre à l'Afrique, au potentiel minier très important mais peu connu, une « fenêtre d'opportunité » pour pérenniser sa croissance. Pour cela, la valorisation de son sous-sol doit respecter les principes de bonne gouvernance politique, sociale, économique et environnementale. En ce sens, l'implication de la communauté internationale et des bailleurs de fonds demeure indispensable.

 

En 2008, la production mondiale de ressources minérales s'établissait à 463 milliards de dollars – en hausse de 100 % par rapport à 2005 (Figure 1). La récente crise financière et économique n'a fait que ralentir temporairement cette tendance. Les estimations de Raw Materials Group 1 (RMG) pour 2010 situent en effet la valeur totale de la production mondiale à environ 430 milliards de dollars – un nouveau chiffre record qui ne tient pourtant pas encore compte de la spectaculaire envolée du cours des matières premières minières.   Le 12 novembre 2010, le cours de l'étain (27 500 dollars la tonne), du cuivre (8 966 dollars la tonne) et de l'aluminium  (2 500 dollars la tonne) ont ainsi atteint ou dépassé les niveaux de la fin de l'été 2008 (AWPress, 2010). La forte hausse de la demande en matières premières minérales depuis le début du XXIe siècle s'explique principalement par la croissance et l'urbanisation des pays émergents – notamment celles de la Chine, devenu un acteur clef du marché minier mondial. Le pays est le premier importateur mondial de nickel, de cuivre, d'aluminium, de plomb, d'étain, etc. Il est aussi le leader incontesté pour la production de 26 substances minérales (Bateman Beijing Axis, 2010 ; Bureau de Recherche Géologique Minière – BRGM, 2010). Avec des cours à nouveau en hausse, les investissements mondiaux pour l'exploration ont repris en 2010 leur progression après une forte chute en 2008-2009 et ont retrouvé leur niveau record de 2005, 8 milliards de dollars (Figure 2). Les budgets d'exploration des plus grandes compagnies se rapprochent désormais des niveaux enregistrés avant la crise. Pour réduire sa dépendance aux importations, la Chine souhaite de plus investir 4,2 milliards de dollars dans l'exploration d'ici 2015 (Reuters, 2010). 

Un potentiel minier sous-exploité

Compte tenu des perspectives d'évolution très favorables du marché minier, l'Afrique dispose d'une « fenêtre d'opportunité » particulièrement intéressante. Elle concentre 30 % des réserves mondiales de matières premières minières et constitue déjà un producteur incontournable pour un grand nombre de ressources. En 2005, l'Afrique produisait notamment 77 % du platine, 56 % du cobalt, 46 % des diamants et 21 % de l'or (Performance consulting, 2007). L'activité minière est essentiellement conduite par des compagnies occidentales – à l'exception notable des compagnies sud-africaines –, à capitaux privés ou publics. Depuis 2002, et plus significativement depuis 2005, les compagnies issues des pays émergents deviennent de sérieux concurrents pour l'accès aux ressources africaines2. Outre les majors, une multitude de petits opérateurs indépendants – enregistrés et cotés en Australie, au Canada ou au Royaume- Uni – multiplient les campagnes d'exploration. Pourtant, l'Afrique ne représente en 2009 que 15 % des budgets d'exploration (hors uranium) pour les métaux non ferreux, une part légèrement supérieure à l'Australie (13 %) et inférieure au Canada (16 %), Metals Economics Group – MEG, 2010 3. Collier et Venables (2008) soulignent que la richesse moyenne du sous-sol africain par km² de terre est d'environ 25 000 dollars, contre 125 000 dollars pour les pays développés, dont les sous-sols sont exploités depuis bien plus longtemps. Il est donc très probable que la valeur du sous-sol africain soit sous-estimée. Les tensions géopolitiques, les déficits en infrastructures et la concurrence des autres continents (notamment de l'Amérique latine) expliquent en partie ce manque relatif d'investissement. Toutefois, la hausse continue des cours et la nécessité d'identifier de nouvelles ressources pour répondre à la demande mondiale incitent les compagnies à augmenter leurs investissements en Afrique. Malgré cela, l'Afrique a du mal à tirer pleinement profit de son sous-sol. L'industrie minière africaine reste dominée par l'extraction et l'exportation de minerais bruts. Bien que significatifs, les revenus générés par les exportations de matière brute ne représentent qu'une faible proportion de ce que pourraient représenter les exportations de produits finis ou semi-finis (Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement – CNUCED, 2007). Le développement en Afrique d'une industrie de valorisation des matières premières minières, dans des conditions économiques pérennes, constitue un des principaux défis du continent. Relever ce défi suppose de prendre en compte l'importance de l'artisanat minier en Afrique – réalité souvent méconnue. Selon le MAEE (2008), cinq à six millions d'africains sont impliqués dans l'extraction de matériaux de construction, de pierres précieuses, de diamants, de métaux de base, d'or. À l'échelle mondiale, l'artisanat minier aurait concerné quinze millions de personnes en 2005 (BRGM, 2005). Cette activité participe directement aux économies locales mais, mal conduite, induit des impacts négatifs (contrebande, insécurité, risques sanitaires et environnementaux). Son intégration dans l'économie formelle est essentielle.

Les pistes pour développer le secteur minier africain

Le développement durable – économique, social et environnemental – du secteur minier africain dépend essentiellement de la mise en place de pratiques de bonne gouvernance au niveau national, régional, voire international. Par ailleurs, il faut développer les infrastructures et renforcer les investissements, ainsi que les capacités locales. L'élaboration d'un cadre législatif et fiscal équilibré, accueillant l'investissement minier et préservant les intérêts des États et des communautés locales doit être une priorité. La gestion des revenus – question sensible, qui relève de la souveraineté des États – doit respecter les bonnes pratiques de gouvernance. Enfin, il faut définir et appliquer une politique de planification globale de développement intégrant le secteur minier, mise au service de l'industrialisation et de la diversification économique des pays producteurs. L'exploitation illégale des ressources doit être combattue pour mettre un terme au financement de conflits locaux et de guerres civiles ; en plus du volet strictement sécuritaire, il faut renforcer la transparence des chaînes d'approvisionnement industrielles dépendantes de ressources produites dans les zones de conflits – à l'image de ce que propose le processus de Kimberley4. La construction d'infrastructures (concernant notamment le transport et l'électricité) constitue un autre défi pour la croissance du secteur en Afrique. De nombreux bassins miniers souffrent d'un enclavement souvent rédhibitoire pour les investisseurs, qui n'ont pas forcément les capacités financières suffisantes pour mener seuls la coûteuse construction d'infrastructures, quand cette obligation ne compromet pas la rentabilité même du projet. C'est notamment le cas, par exemple, du gisement de manganèse de Tambao au Burkina Faso. Le renforcement du réseau africain d'infrastructures – un des objectifs du G20 – doit améliorer significativement l'attractivité du secteur minier africain, et servir plus largement l'essor d'autres secteurs économiques handicapés eux aussi par l'insuffisance du réseau de transport et de distribution d'électricité. Par ailleurs, il est indispensable que les États africains développent et s'approprient la connaissance géologique et économique de leur potentiel minier. Cela suppose un investissement plus important dans l'inventaire de leurs ressources minières et dans la mise en place de structures de promotion du potentiel minier des pays. Cela permettrait de corriger la forte asymétrie d'information et de capacités qui pénalise souvent les États producteurs dans leurs négociations avec les investisseurs internationaux. Enfin, une administration solide et suffisamment dotée en moyens humains et financiers est essentielle pour assurer le succès des stratégies de développement durable du secteur minier africain. L'absence ou l'insuffisance de cadres expérimentés dans les administrations constitue un obstacle majeur à la croissance des économies africaines en général et du secteur minier en particulier.

Une implication internationale croissante

Le rapport du « Sommet mondial pour le développement durable » de Johannesburg – organisé en 2002 par l'Organisation des Nations unies (ONU) en présence d'une centaine de chefs d'État et de quelques 40 000 délégués – traite du secteur minier au paragraphe 46. Cela traduit pour le moins une prise de conscience internationale : ce secteur peut, sous certaines conditions, constituer un véritable vecteur de croissance pour les pays producteurs (ONU, 2002). Constatant l'effervescence du marché minier en Afrique, les autorités françaises ont défini en 2008 une stratégie de coopération visant à optimiser la contribution des ressources minières du continent africain au développement durable du continent. Cette stratégie repose sur l'amélioration de la gestion des informations nécessaires à la valorisation du patrimoine minier, sur l'amélioration de l'attractivité, de la gouvernance et de la transparence du secteur. Il s'agit aussi d'accompagner la mutation d'une économie de rente en une économie de croissance partagée. La France a par exemple accepté tout récemment de convertir la dette souveraine du Malawi (9 millions d'euros) en un projet de développement visant à cartographier les ressources minières du pays et à développer les structures de formation et de promotion du secteur. La Commission européenne, quant à elle, a mis en place en novembre 2008 une initiative « Matières premières ». Si l'objectif premier est d'assurer la sécurité d'approvisionnement des industries européennes, l'initiative comporte aussi un important volet « développement » soutenu par l'Union européenne et l'Union africaine, qui débouchera à partir de 2011 sur des projets spécifiques (Commission européenne, 2008). D'autres programmes internationaux de promotion de la bonne gouvernance dans le secteur extractif ont été mis en place depuis 2002. L'Initiative sur la transparence des industries extractives (ITIE), qui regroupe sur une base volontaire États, compagnies privées et société civile, cherche à promouvoir dans les pays producteurs une meilleure gouvernance des revenus tirés de l'exploitation des ressources naturelles. La Banque mondiale et la Banque africaine de développement proposent par ailleurs depuis 2009 une assistance technique et juridique aux pays producteurs qui n'ont pas la capacité de négocier équitablement les contrats d'exploration et de production. Si les défis et les obstacles sont importants – il manque, par exemple, des données fiables sur l'importance de l'impact économique du secteur –, le prolongement attendu du supercycle minier5 s'ajoutant à l'implication croissante des États et des  institutions internationales permet de penser que le secteur minier africain pourrait jouer dans les années à venir un rôle croissant dans le développement économique du continent. Une coopération régionale accrue n'en demeure pas moins nécessaire ; les produits miniers exportés par les pays enclavés ont besoin par exemple d'infrastructures régionales. En outre, l'émergence d'espaces économiques régionaux implique la mise en place d'un tarif extérieur commun, une convergence fiscale, une libre circulation des biens, des capitaux et des personnes, ainsi que des normes communes qui bénéficient aux industries minières comme aux autres secteurs d'activité. De plus, les échanges transfrontaliers de produits à haute valeur issus du secteur informel (voire criminel) requièrent une coopération étroite des services de contrôle. Enfin, une coopération universitaire régionale permettrait de pallier au manque de capacités de formation pour l'ensemble des compétences requises, aux différents niveaux de spécialisation.  

 

1 Depuis 1990, Raw Materials Group - qui conseille à la fois des gouvernements, les équipementiers et les entreprises de services de l'industrie minière - gère la base de données la plus complète du secteur.

2 Voir à ce sujet l'article de David Humphreys dans ce numéro de Secteur Privé & Développement.

3 Toutefois, les budgets d'exploration dans le minerai de fer ont augmenté en Afrique de façon très soutenue ces derniers mois, notamment en Afrique de l'Ouest (Guinée, Sierra Leone, Liberia) et centrale (Cameroun, Gabon).

4 Le processus de Kimberley – un exemple abouti de processus de certification des ressources naturelles – a été initié pour lutter contre le commerce illicite des diamants bruts qui alimentait les guerres civiles en Afrique centrale et en Afrique de l'Ouest.

5 Un supercycle est une période prolongée de hausse des prix réels des matières premières.  

 

RÉFÉRENCES :

AWPress, 2010. Records historiques du cuivre et de l'étain, article de presse,12 novembre. 

Bateman Beijing Axis, 2010. China & Africa: A Global Natural Resources Alliance?, conférence Mining Indaba, document de travail, 2 février. 

BRGM, 2005. Développement durable : quelle place pour la mine artisanale ?, Géosciences, n°1. 

BRGM, 2010. Quelles recherches pour l'avenir ?, symposium franco-allemand sur l'approvisionnement de l'Europe en matières premières non-énergétiques, document de travail, 4 juin 2010. 

CNUCED , 2007. Sociétés transnationales, industries extractives et développement, rapport. 

Collier, P., Venables, A. J., 2008. Managing the Exploitation of Natural Assets: Lessons for Low Income Countries, OxCarre Research Paper n° 2008-11. 

CE , 2008. Initiative « Matières premières » – répondre à nos besoins fondamentaux pour assurer la croissance et créer des emplois en Europe, document de travail. 

MAEE , 2008. Ressources minérales et développement en Afrique, document d'orientation stratégique. 

MEG , 2010. World Exploration Trend, Prospectors and Developers Association of Canada International Convention, rapport, 7 mars. 

ONU , 2002. Rapport du sommet mondial pour le développement durable, Johannesburg, Afrique du Sud, 26 août-4 septembre.  

Performance Consulting, 2007. Le secteur minier en Afrique subsaharienne : problématiques, enjeux et perspectives, document de travail. 

Reuters, 2010. La Chine va consacrer 3,2 milliards d'euros à l'exploration minière, article de presse, 7 novembre. 

RMG, 2010. Outlook for metals – a bright future?!, forum mondial sur les produits de base de la CNUCED, document de travail, 22-23 mars.