Partager la page

Comment les bailleurs de fonds peuvent-ils soutenir le secteur financier en Afrique ?

Publié le

Thierry Tanoh Vice-President SFI

Secteur Privé & Développement

Secteur Privé & Développement #5 - Les marchés financiers en Afrique : véritable outil de développement ?

Les marchés financiers africains ont connu, depuis le début des années 1990, une croissance spectaculaire ; alors une douzaine, ils sont maintenant 23 et couvrent l’ensemble du continent. La capitalisation boursière a été multipliée par neuf, et plus de 2000 entreprises sont maintenant cotées. Depuis quelques années, les introductions en bourse se sont multipliées,permettant à certaines banques ou à des entreprises de lever des capitaux considérables – ce qui démontre, à n’en pas douter, la profondeur de l’épargne locale et l’intérêt des investisseurs nationaux pour les places boursières.

Si le secteur financier africain n'a pas été durement affecté par la crise de 2008, cette dernière a néanmoins révélé ses faiblesses structurelles – dont l'étroitesse des marchés et le faible niveau de crédit accordé au secteur privé. Le développement des marchés de capitaux semble donc, dans ce contexte, particulièrement difficile. Mais pas impossible ; les bailleurs de fonds, en coopération étroite avec les autorités locales, peuvent le renforcer par leurs conseils et leur expertise. Au-delà, ils peuvent agir très directement sur l'approfondissement et la liquidité des places financières.

L'Afrique peut se réjouir : son secteur financier n'a pas été significativement affecté par les premiers effets de la crise financière en 2008 – et cela en dépit de l'importance de la présence étrangère dans le système bancaire en général. Bien qu'il s'agisse d'un élément indéniablement positif, le fait d'échapper à la contagion de la crise des prêts à haut risque venue des États-Unis a aussi mis en relief les faiblesses propres au secteur financier africain, et sa faible intégration au sein du système financier mondial.

Un secteur bancaire aux fondations fragiles

Dans la majorité des pays africains, le secteur financier se résume essentiellement au secteur bancaire ; dans les pays développés, il comprend aussi le marché des actions et des obligations d'entreprise, le marché de l'assurance, etc. Le cas de l'Afrique du Sud faisant figure d'exception en raison de ses marchés financiers bien développés ne sera pas abordé ici.

Les secteurs financiers africains sont de taille réduite, même lorsqu'on les rapporte au PIB des pays subsahariens. En ce qui concerne la capacité de mobilisation des dépôts et l'octroi de crédits au secteur privé, l'Afrique subsaharienne se situe assez loin derrière la moyenne des pays à bas revenus. La faiblesse du crédit accordé au secteur privé (inférieur à 20 % du PIB) est particulièrement préoccupante. La majorité des banques ont plutôt tendance à prêter aux gouvernements par le biais, entre autres, d'achat de bons du Trésor. Les montants des obligations d'État et des prêts accordés aux entreprises publiques sont d'ailleurs beaucoup plus élevés que dans toute autre région (Figure 1).

Par ailleurs, l'accès au financement est limité aussi pour le grand public ; moins de 20 % des Africains disposent de comptes bancaires, y compris auprès des institutions de microfinance.

Les opérations bancaires en Afrique – bien que limitées – sont néanmoins rentables. Les banques en Afrique tendent aussi à être extrêmement liquides ; elles bénéficient en effet d'une abondance de dépôts, généralement mis en réserves ou investis dans des instruments (souvent gouvernementaux) du marché monétaire à court terme. Il semblerait donc que les banquiers africains soient peu incités à développer les prêts aux entreprises – et particulièrement aux plus petites – ou à améliorer l'accès de la population aux comptes bancaires.

Ces différents facteurs expliquent à quel point il est difficile de développer une infrastructure de marchés de capitaux solide sur la base d'un secteur bancaire aussi faible. D'un autre coté, cela montre également que les marchés de capitaux sont nécessaires pour financer de façon adéquate le secteur privé, pour proposer de nouveaux produits d'épargne à la population et pour que soit utilisée la forte liquidité des banques.

 

Rôle des bailleurs de fonds

Les bailleurs de fonds peuvent aider de différentes façons les gouvernements africains, les institutions et les marchés financiers à faire tomber ces barrières et à développer des services financiers plus productifs. Leur soutien peut par exemple consister à aider les gouvernements à modifier les politiques et règlementations obsolètes ou inefficaces en la matière. Ils peuvent aussi renforcer les capacités des régulateurs, pour qu'ils mettent en oeuvre ces changements et supervisent les institutions financières. Enfin, ils peuvent apporter une aide directe aux institutions privées pour qu'elles améliorent leurs pratiques et leurs modes de gestion.

La Banque mondiale et le FMI soutiennent – parallèlement à certains donateurs bilatéraux – activement les autorités financières pour les aider à améliorer la règlementation et le contrôle des institutions financières et des marchés. Le rôle essentiel d'un environnement réglementaire fort – complété par un système de contrôle efficace – a été rappelé par la récente crise financière, qui a mis en évidence les faiblesses en matière de contrôle des institutions financières des pays développés. Une règlementation et une régulation efficaces sont particulièrement importantes pour les marchés de capitaux. En effet, la nature spécialisée des marchés d'actions, d'obligations et des autres marchés de capitaux exige une règlementation et un contrôle pointus, pour garantir leur développement. Les bailleurs de fonds sont bien positionnés pour fournir une assistance technique – fournie par des acteurs non africains – aux régulateurs. Il est en particulier nécessaire d'améliorer l'efficacité et de réduire les coûts des marchés afin qu'ils attirent davantage d'entreprises et encouragent de nouvelles émissions. Une règlementation efficace des marchés de titres et l'application de normes appropriées aux titres émis sont également nécessaires. Les organismes de régulation du marché africain ont besoin d'une assistance régulière au fur et à mesure de leur développement, alors qu'ils se perfectionnent.

Dans le contexte africain, il est également possible d'intégrer davantage les marchés financiers, notamment au niveau régional afin de traiter certains des problèmes liés à la fois à leur taille et à la qualité de la réglementation. Cette intégration a été réalisée avec succès, par exemple, dans la zone CFA¹, en établissant un marché de titres régional. Ce type d'initiatives doit être encouragé. Les bailleurs de fonds peuvent soutenir ces processus, sur les aspects institutionnels et de politiques régionales, en s'appuyant sur leur expérience dans d'autres régions.

Outre la règlementation et le contrôle du secteur financier, d'autres mesures peuvent être appuyées par les agences multilatérales et bilatérales. Depuis la crise financière, la gestion des risques et la gouvernance d'entreprise occupent une place de plus en plus importante dans le dispositif visant à assurer une gestion saine des institutions financières. Les organisations internationales peuvent conseiller les banques pour les aider à mettre en place un système de gestion des risques plus efficace. Elles peuvent aussi les aider à améliorer leur gouvernance d'entreprise afin de s'assurer que les intérêts de toutes les parties prenantes soient bien pris en compte.

De nouvelles institutions (ou fonctions) financières seraient également utiles pour aider les marchés de capitaux à se développer. Les bailleurs de fonds peuvent contribuer à atténuer les risques liés à leur création, par exemple en devenant actionnaires et en assurant un rôle de conseil tout au long de la phase de mise en place. La SFI a ainsi investi directement dans plusieurs institutions financières clés pour les marchés, telles que les banques d'investissement et les établissements d'escompte.
 

Quelques exemples de soutiens aux marchés financiers africains

La SFI, chargée de soutenir les investissements dans le secteur privé au sein du groupe Banque mondiale, est depuis plusieurs décennies activement engagée dans le soutien du développement des institutions et marchés financiers africains. Les interventions de la SFI se sont récemment concentrées sur l'appui direct des marchés d'obligations et d'actions.

Dans le cadre de ces initiatives, la SFI a lancé en 2006 le programme ESMID (Efficient Securities Market Institutional Development). Ce programme vise à améliorer l'attractivité des marchés de la dette nationaux et régionaux les plus importants. L'objectif consiste à améliorer la  transparence et la diffusion des informations accompagnant les offres du marché des obligations, à réduire les délais et les coûts – pour promouvoir davantage d'émissions. Le programme se concentre sur les marchés obligataires nigérians et est-africains. La première phase d'identification et de conception des réformes nécessaires est achevée ; pour cela les régulateurs ont pu bénéficier d'une assistance technique. Au Kenya, par exemple, l'autorité de surveillance des marchés financiers (the Capital Markets Authority) a récemment dévoilé les avant-projets de lois et de règlementations qui remanieront les marchés de titres.

Depuis les années 1980, l'appui de la SFI visant à améliorer le fonctionnement des marchés émergents inclut l'émission d'obligations en monnaie nationale. En effet, lorsque les pays ouvrent leurs marchés à des émetteurs internationaux, ils trouvent souvent utile que la première émission soit celle d'une société internationale, afin d'établir une référence, dénuée de risque. De plus, ces émissions aident la SFI à diversifier sa base de financement et à offrir des ressources en monnaie locale de long terme, lui permettant de soutenir des projets d'infrastructure et d'autres projets qui ne sont pas orientés vers l'exportation. En 2007, la SFI est devenue le premier émetteur sur la bourse régionale d'Afrique de l'Ouest (BRVM) avec l'émission de «l'obligation kola» de 22 milliards de francs CFA (soit 40 millions de dollars), remportant le prix du «meilleur deal de l'année» pour les marchés émergents. Cette émission a été suivie en 2009 par celle de «l'obligation moabi» en Afrique centrale d'une valeur de 20 milliards de francs CFA – soit 43 millions de dollars. Ces émissions ont donné à ces jeunes marchés plus de profondeur et devraient favoriser un nombre croissant d'émissions.

La SFI peut aussi aider à préparer une offre publique initiale sur les marchés locaux d'actions ; cette aide peut prendre la forme d'un investissement financier au moment de l'offre publique, l'intervention de la SFI rassurant les investisseurs institutionnels et privés sur la qualité de l'émission. Ainsi, la SFI a investi lors de l'offre publique d'ONATEL² – la toute première offre d'origine burkinabé sur la bourse régionale. La SFI peut aussi investir des fonds propres directement dans de grandes entreprises, avec l'intention de soutenir une offre publique à venir – offre à laquelle la SFI peut alors participer en vendant une partie de ses actions. En général, la SFI cherche à se désengager, par exemple par le biais de cotations publiques sur les marchés des titres locaux, de façon à apporter de la profondeur et de la liquidité à ces marchés. L'investissement de la SFI dans une société peut également servir de «garantie» permettant d'ouvrir la voie à une offre publique ultérieure.

Étant donnée leur croissance significative au cours des dernières années, les bourses et les marchés de la dette apparaissent de plus en plus comme des outils puissants permettant aux entreprises de financer leur développement. Malgré les efforts croissants de la SFI sur ces marchés, beaucoup reste à faire pour équiper l'Afrique de marchés financiers efficaces. De ce point de vue, la poursuite d'une coopération financière et technique étroite entre les différents bailleurs bilatéraux et multilatéraux – et avec les autorités locales – semble pertinente.

 

Notes de bas de page :

¹ CFA : Communauté Financière Africaine. ² Entreprise de télécommunication du Burkina Faso. Voir à ce sujet l'article de Laurent Demey, dans ce numéro de Secteur privé et développement, sur les raisons politiques de l'OPI d'ONATEL en tant qu'entreprise publique.