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A ciel ouvert - Recommandations pour une meilleure connectivité du transport aérien

Publié le

Raphael Kuuchi Vice-président IATA

Secteur Privé & Développement

Secteur Privé & Développement #24 - Le transport aérien au coeur des enjeux africains

Le transport aérien en Afrique pèse encore très peu à l’échelle mondiale. La forte croissance du produit intérieur brut, l’urbanisation accélérée du continent et le développement des classes moyennes – désireuses de voyager – devraient cependant bouleverser la donne.

La mauvaise connectivité des liaisons aériennes en Afrique freine les économies du continent. Jusqu’ici, les initiatives visant à libéraliser le ciel africain n’ont pratiquement pas été mises en œuvre. En s’appuyant sur la modélisation statistique, une étude commanditée par l’IATA illustre les bénéfices considérables qui pourraient être retirés, sur le plan économique et social, d’une ouverture à la concurrence du transport aérien en Afrique.

En 1969, Neil Armstrong et Buzz Aldrin ont volé – sans escale ! – de la Terre à la Lune. En 2017, le fondateur de Google, Sergey Brin rejoindra d’une seule traite la Station spatiale internationale, et un groupe de pionniers de l’espace embarquera en 2026 sur un vol direct à destination de Mars. Mais pour parcourir les 2 500 kilomètres qui séparent l’Algérie du Cameroun – deux pays situés sur le même continent –, l’itinéraire le plus pratique passe aujourd’hui par Istanbul et implique trois vols différents. Le trajet dure au minimum 24 heures, mais peut aller jusqu’à 30 heures selon les horaires des correspondances (Carte). C’est là un des paradoxes les plus troublants de notre époque. La mauvaise connectivité1 des liaisons aériennes en Afrique n’a pas pour unique conséquence des itinéraires et des durées de vol peu pratiques. Elle est également préjudiciable aux économies des cinquante-quatre États africains et à celles de toute la région. En Afrique, les droits fondamentaux de la circulation aérienne (Freedom of the Air)2 , le cabotage et l’actionnariat étranger sont tous très fortement réglementés.  

Améliorer la connectivité du transport aérien

Le secteur du transport aérien peut contribuer de façon très significative à la croissance économique et au développement du continent. Il peut favoriser l’ouverture des marchés et leur mise en relation ; il est en outre indispensable à l’essor du tourisme et crucial pour l’acheminement des denrées périssables que les pays africains exportent. De même, améliorer la connectivité des liaisons aériennes peut entraîner un accroissement de la productivité en stimulant l’investissement et l’innovation. Pourtant, même si les bienfaits du secteur aérien sont largement connus, des obstacles continuent d’empêcher le développement des liaisons interafricaines. Ils sont principalement dus aux politiques protectionnistes du début des années 1960, qui avantagent les compagnies aériennes « nationales » – créées par les États, en partie pour s’affirmer en tant que nations après leurs indépendances. Cinquante années plus tard, la situation n’a guère évoluée alors que les marchés plus matures ont pleinement pris la mesure des avantages qui découlent d’une plus grande connectivité aérienne. En Europe, le secteur du transport aérien évoluait jusqu’en 1988 dans un environnement fortement réglementé ; pour libéraliser le marché, il a fallu voter, au niveau de l’Union européenne (UE), trois séries consécutives de lois. Leurs effets ont été retentissants, entraînant un bond significatif du trafic aérien. Entre 1992 et 2000, le nombre des liaisons régulières entre les pays européens a augmenté de près de 75 % et le nombre de vols de 88 %, avec dans le même temps plus qu’un doublement du nombre de sièges proposés (OACI, 2006). Les prix des billets d’avion ont aussi baissé, du fait de l’accroissement de la concurrence. En prix constants, le prix moyen des billets a chuté de plus de 15 % sur la période. En Amérique latine, l’amélioration de la connectivité a également bénéficié aux pays en développement. Au Chili, par exemple, le trafic aérien du pays, libéralisé en 1979, a progressé beaucoup plus rapidement que les moyennes régionales et mondiales. Au Costa Rica, l’ouverture du marché aérien a permis de faire quadrupler en vingt ans le nombre de touristes (OACI, 2006). Au Brésil, de nouvelles compagnies à bas coûts se sont développées, amenant la création de liaisons supplémentaires et une baisse des tarifs.

L’ouverture du ciel africain : un bien long parcours

Les pouvoirs publics africains ne sont pas restés totalement insensibles aux avantages d’une meilleure connectivité, et des démarches de libéralisation ont été engagées au niveau bilatéral, régional ou continental. Beaucoup de pays d’Afrique ont adopté en 1999 la Décision de Yamoussoukro, soutenue par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) dans le cadre de sa mission d’amélioration du commerce et des échanges intra-africains. Le premier objectif de la Décision de Yamoussoukro était l’ouverture du transport aérien interafricain. L’accord3 engageait ses 44 signataires à déréglementer leurs services de transports aériens et à ouvrir le marché régional à la concurrence internationale. Si la Décision de Yamoussoukro revêt en théorie un caractère contraignant, sa mise en application a jusqu’ici été lente et limitée. Les mesures protectionnistes favorisant les compagnies aériennes nationales – attributions de subventions publiques, pratiques discriminatoires à l’égard des compagnies venues d’autres continents, etc. – sont toujours les principaux freins à son application. Les sévères restrictions imposées par les autorités de l’UE aux transporteurs africains en matière de sécurité constituent aussi un facteur de blocage, auxquels s’ajoutent des freins d’ordre administratif (InterVISTAS, 2014). En outre, il arrive fréquemment que des États africains refusent d’ouvrir leur espace aérien à d’autres acteurs du continent alors qu’ils acceptent de le faire pour des compagnies non africaines.

La mise en œuvre de la Décision a aussi été pénalisée par l’absence d’autorité de tutelle, de réglementation de la concurrence et de mécanismes de résolution des litiges. La situation est cependant en train d’évoluer. En 2015, la Commission africaine de l’aviation civile (CAFAC) a été désignée comme autorité de surveillance ; des mécanismes de résolution des litiges et des règles de concurrence ont maintenant été adoptés.

Les bénéfices d’une ouverture de l’espace aérien

L’IATA a décidé de s’appuyer sur la modélisation statistique pour illustrer les bénéfices économiques – pas assez visibles – liés à la mise en œuvre de la Décision. Le modèle est capable d’estimer l’impact d’une amélioration de la connectivité sur le trafic aérien existant entre deux pays africains donnés. Les flux entre douze pays4 d’Afrique ont ainsi été analysés. Les résultats présentés par l’IATA démontrent très clairement qu’une meilleure connectivité aérienne entre ces pays aurait des conséquences favorables sur le plan social et économique (Figure). L’établissement d’une connectivité complète entre ces pays entraînerait ainsi une hausse du PIB de 1,3 milliard de dollars et permettrait de créer 155 000 emplois supplémentaires, entre autres. Environ cinq millions de passagers, qui aujourd’hui ne peuvent financièrement pas se permettre de voyager en avion, pourraient dès lors le faire, la concurrence entre les compagnies aériennes entraînant une baisse du prix des billets comprise entre 25 à 35 %. À cela s’ajouteraient évidemment des gains de temps substantiels. Ainsi, les principaux intervenants du secteur aérien et les décideurs politiques africains disposent désormais de preuves incontestables des bénéfices socio-économiques stratégiques que génère un continent bien connecté. Dans le prolongement de la publication de ce rapport, treize chefs d’État africains se sont d’ailleurs engagés à ce qu’il soit mis immédiatement en application. Les ministres des transports de ces pays se sont rencontrés et ont élaboré un plan détaillé de mise en œuvre. Par ailleurs, plusieurs initiatives positives, allant dans le sens d’une plus grande libéralisation du ciel africain, existent déjà et doivent être soulignées. L’accord intervenu au début des années 2000 pour l’ouverture de l’espace aérien entre l’Afrique du Sud et le Kenya a entraîné une augmentation de 69 % du trafic de passagers. L’autorisation accordée à des opérateurs low cost de rallier l’Afrique du Sud et la Zambie a conduit à une baisse des tarifs et a fait bondir le trafic de passagers de 38 %. Les efforts de l’Éthiopie pour mettre en place des accords de libéralisation bilatéraux basés sur la réciprocité ont fait de la compagnie aérienne nationale l’une des plus importantes et des plus rentables de toute l’Afrique. Sur les liaisons intra-africaines bénéficiant des accords bilatéraux les plus étendus, les passagers ont bénéficié à la fois de meilleurs prix et d’un meilleur service. Les principes fondamentaux sont désormais bien en place pour assurer la mise en œuvre d’une plus grande connectivité aérienne à travers toute l’Afrique. Mais pour cela, les pouvoirs publics africains ne doivent plus se focaliser sur la protection de leur compagnie nationale et doivent désormais envisager l’aviation comme un actif stratégique plutôt que comme un des instruments de leur politique étrangère. L’Afrique est sur le point de récolter les fruits d’une période de croissance tout à fait exceptionnelle ; pour la prolonger, elle doit s’assurer que le secteur du transport aérien vienne prendre une place centrale dans son développement

 

1 Dans le contexte de cet article, le mot « connectivité » est utilisé pour désigner les connexions des lignes aériennes entre elles – et ne concerne pas le domaine informatique.

2 Cette expression désigne un ensemble de droits propres à l’aviation commerciale, accordant aux compagnies aériennes d’un pays le privilège d’entrer dans l’espace aérien et d’atterrir dans un autre pays.

3 Cet accord venait compléter la Déclaration de Yamoussoukro, datant de 1988, similaire dans les objectifs mais qui manquait d’un cadre bien défini et de dispositifs de règlement des litiges.

4 Algérie, Angola, Égypte, Éthiopie, Ghana, Kenya, Namibie, Nigéria, Sénégal, Afrique du Sud, Tunisie et Ouganda.

 

Références:

OACI, 2006. European Experience of Air Transport Liberalization. In The Economic Benefits of Liberalising Regional Air Transport: A Review of Global Experience. ICAO Global Symposium on Air Transport liberalisation, Dubai, 18-19 septembre 2006. Disponible sur Internet : http://www.icao.int/sustainability/CaseStudies/StatesReplies/EuropeLiberalization_En.pdf

InterVISTAS, 2014. Transforming Intra-African Air Connectivity: The Economic Benefits of Implementing the Yamoussoukro Decision. Disponible sur Internet : https://www.iata.org/whatwedo/Documents/economics/InterVISTAS_AfricaLiberalisation_FinalReport_July2014.pdf

AFRAA, 2014. Towards a single air transport market for sustainable development of the continent. Disponible sur Internet : http://www.afraa.org/index.php/media-center/publications/conferences/africa-wide-air-transport-conference/493-towards-a-single-air-transport-market-for-sustainable-development-of-the-continent-speech/file