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Capital-investissement et AT, le duo gagnant pour les PME
Publié le
Aziz Mebarek Directeur général Tuninvest–AfricInvest Group

Secteur Privé & Développement #11 - L'assistance technique au service du secteur privé : un outil de développement
Le conseil et le soutien des entreprises sont une composante importante de l’activité des institutions financières de développement tant dans les pays émergents que dans les pays en développement, en particulier en Afrique. Les petites et moyennes entreprises y souffrent de lacunes, notamment en matière de gouvernance et de gestion financière. Des déficits qui limitent leur croissance, et réduisent leur contribution au développement.
Peut-on encore envisager un développement des PME en Afrique sans accompagner l'investissement financier d'un soutien technique ? C'est grâce à des programmes d'assistance technique que le capital-investissement africain a pu émerger. Les expériences montrent qu'un accompagnement adapté aux besoins des PME africaines et aux spécificités économiques locales se révèle essentiel à leur développement.
Au centre des interventions de Tuninvest–AfricInvest, l'accompagnement des petites et moyennes entreprises (PME) semble aussi important que l'investissement financier pour leur développement. Si les équipes de la société de gestion de fonds peuvent appuyer stratégiquement les PME, leurs besoins de renforcement imposent très souvent l'intervention de compétences externes spécifiques qu'elles n'ont pas la capacité d'attirer ou de financer. Dans ce contexte, la création d'instruments d'appui technique constitue une réponse essentielle aux besoins de l'entreprise et une composante clef du développement du tissu de PME en Afrique. Celles-ci constituent la colonne vertébrale du développement durable des économies africaines. C'est ainsi que tous les programmes publics d'appui au secteur privé mettent l'accent sur l'amélioration du cadre réglementaire et institutionnel des PME. Ces initiatives se sont traduites par des réformes fiscales qui ont permis d'alléger le poids des prélèvements sur les entreprises et de les inciter à davantage de transparence. Elles ont également participé à la simplification des démarches administratives et douanières, mais aussi à l'amélioration des dispositifs de formation et à l'assainissement du secteur financier.
Importance et carences des PME en Afrique
Malgré ces avancées, les PME africaines restent souvent sous-capitalisées et recourent de manière excessive au crédit. Elles présentent de nombreuses carences. Citons, par exemple une faible maîtrise du cycle d'exploitation ainsi qu'un manque de contrôle des outils de production et des techniques marketing, ce qui engendre des besoins importants en fonds de roulement. Il faut aussi évoquer les difficultés à adopter des règles de bonne gouvernance, notamment en matière de gestion des conflits d'intérêts et de gestion financière, pouvant aboutir à des inexactitudes comptables voire à des abus de biens sociaux. Soulignons les insuffisances dans la conception et la planification des projets stratégiques qui relèvent plus de l'obligation administrative liée aux demandes de crédit que de la feuille de route managériale. Les conséquences ? Des décisions d'investissement intuitives, une utilisation insuffisante des systèmes d'information et des inefficiences dans l'organisation entraînant des doublons dans les fonctions, une dilution des responsabilités et une centralisation des prises de décisions. Signalons enfin une politique de recrutement et salariale qui ne permet pas d'attirer et retenir les meilleures compétences ou encore une difficulté à anticiper, voire conduire, le changement.
Contribuer au développement des PME
Au milieu des années quatre-vingt-dix, la plupart des pays du Sud étaient engagés dans des programmes d'ajustements structurels, synonymes de plus grande ouverture au commerce extérieur et de désengagement progressif des secteurs productifs de l'État. Cette transition économique a impliqué de soutenir le secteur privé et l'activité de capital-investissement afin d'apporter les ressources en fonds propres et les compétences managériales, dans un contexte de très fort endettement et d'inflation maîtrisée, mais aussi de concurrence plus grande. C'est ainsi que le capital-investissement est né en Tunisie, avec le soutien d'institutions financières de développement. L'émergence du capital-investissement en Afrique ne pouvait se réaliser sans un appui technique et financier significatif. Plusieurs équipes de capital-investissement ont ainsi bénéficié de programmes d'assistance technique. Aussi, pour être efficace et tenir compte de la faible maturité du tissu des PME en Afrique, l'intervention des fonds d'investissement ne pouvait se limiter à un seul apport financier. En effet, au-delà des ressources stables et de l'impact de leurs interventions sur la structuration financière des PME, les sociétés de capital-investissement contribuent depuis toujours, en Afrique, à améliorer la gouvernance des entreprises. Comment ? En rompant l'isolement de leurs partenaires et en permettant aux organes de gestion de jouer pleinement leur rôle grâce à une meilleure qualité de l'information. Cet accompagnement s'appuie d'une part sur l'expertise et la proximité des équipes de la société de gestion du fonds avec les entreprises du portefeuille et leurs dirigeants et, d'autre part, sur son large réseau dont bénéficient les PME. Leurs expériences dans la gestion et le pilotage stratégique leur permettent également d'encourager l'optimisation des coûts et l'amélioration de l'efficience opérationnelle des PME. Par ailleurs les sociétés de capital-investissement peuvent proposer et accompagner la mise en place d‘organisations performantes, en mesure d'attirer les compétences mais également des systèmes de rémunération alignant l'intérêt des entreprises avec celui des actionnaires et des salariés.
Les facteurs clef de succès
La complexité et la diversité des problématiques auxquelles sont confrontées les entreprises africaines légitime le recours à une expertise externe, principalement internationale. En effet, les entreprises dans lesquelles Tuninvest-AfricInvest investit sont des sociétés en croissance, qui cherchent à innover sur leur marché par le lancement de nouveaux produits, de nouvelles zones d'intervention ou de nouveaux procédés. Elles requièrent une expertise externe pointue pour les aider à mûrir leur projet, éviter les erreurs, optimiser les coûts et accélérer la mise sur le marché. L'appui doit s'imprégner des réalités et caractéristiques locales. Lors du lancement de la première société d'affacturage en Tunisie, le groupe Crédit Agricole a accompagné Tuninvest-AfricInvest en mettant à sa disposition pendant deux ans un expert une semaine par mois, afin de mettre en œuvre un nouveau plan stratégique adapté au cadre local caractérisé par l'absence d'un équivalent de la loi Dailly1 pour la subrogation de créance. En Algérie également, Tuninvest–AfricInvest a aidé un fournisseur de services Internet, s'apprêtant à lancer une activité ADSL et Wimax, à revoir sa stratégie marketing grâce à un consultant en télécoms qui a pris en compte à la fois les standards européens/américains et les contraintes locales. L'entreprise, qui s'est ainsi concentrée dans un premier temps sur le développement de la couverture de son réseau puis sur le ciblage de sa communication sur les grands comptes, est aujourd'hui leader sur ce segment de marché. Cette prise en considération du contexte local implique que le personnel de l'entreprise soit bien associé dans les travaux des consultants notamment par la mise en place d'un groupe de travail. Cette participation active permet également un meilleur transfert du savoir-faire, et donne la possibilité à l'entreprise de faire évoluer plus facilement les outils et les connaissances acquises dans un contexte en constante évolution.
Comment soutenir ces programmes d'accompagnement technique
Tuninvest–AfricInvest cofinance les missions d'assistance technique grâce à des subventions accordées par les investisseurs de leurs fonds (Tableau 1). L'usage de subventions se justifie, soit par la fébrilité financière de l'entreprise lors de la phase de lancement d'une nouvelle activité, soit lorsque l'entrepreneur hésite à recourir à une expertise internationale, à laquelle il n'a pas l'habitude et dont le prix dépasse celui des experts locaux. Une fois la phase de démarrage ou de retournement passée, et après avoir expérimenté le recours à une expertise internationale, les sociétés acceptent généralement plus facilement de financer intégralement les missions d'experts. Depuis sa création, Tuninvest–AfricInvest a investi dans une centaine de PME. Le recours à l'assistance technique depuis 2008 a permis à ces entreprises de faire un saut qualitatif important et d'améliorer la rentabilité des capitaux investis. Selon ces sociétés et la société de gestion, l'appui technique a été au moins aussi important que les ressources financières qui leur ont été apportées. La réussite des missions d'accompagnement repose en grande partie sur les conditions imposées par les bailleurs de fonds. TunInvest-AfricInvest a ainsi demandé aux institutions financières de développement européennes - la française Proparco, la néerlandaise FMO et la belge BIO - que les facilités accordées soient souples à mobiliser, flexibles quant au choix et au mode de sélection de l'expert, et qu'elles requièrent une contribution minimale du bénéficiaire afin de s'assurer ex ante de la pertinence de la mission et de son suivi a posteriori. Au Nigeria, le fonds AfricInvest Financial Sector a investi en avril 2008 dans la société Abbey, spécialisée dans le financement du logement social, afin de développer l'offre de crédits hypothécaires. L'appui financier s'est accompagné d'un soutien technique couvrant à la fois la réorganisation de la société et la refonte de son fonctionnement, le renforcement de son système d'information, la mise en place de nouvelles lignes de refinancement à maturité plus longue et la modification de la gamme de produits. En l'absence d'experts locaux, l'assistance technique a été pilotée pendant trois ans par un consultant canadien spécialiste du financement hypothécaire, dont 50 % de la rémunération a été prise en charge par Abbey.
Renforcer et élargir ce dispositif
L'accompagnement technique se révèle être un facteur clef de succès du développement du tissu des PME. Toutefois, les faibles montants financiers accordés jusqu'à présent ne permettent pas de donner plus d'ampleur à cette démarche. Quelques aménagements pourraient aussi en améliorer le fonctionnement, parmi lesquels l'introduction de clauses de remboursement en cas de succès de la mission et la mise en place de fonds revolving permettant d'améliorer l'effet de levier des financements. Le financement de contrats de recrutement de dirigeants locaux ou d'expatriés en contrat à durée déterminée faciliterait, quand cela est nécessaire, l'intégration de l'expert dans le management de l'entreprise. Le lancement de facilités spécifiques pourrait soutenir l'activité d'incubation des investisseurs lors des quatre à cinq premières années de vie des PME, comme cela est déjà fait pour les institutions de microfinance.
1 La loi Dailly de janvier 1981, par référence au nom du sénateur qui en est à l'origine, est relative à la cession et au nantissement des créances professionnelles. Elle a permis de donner un cadre juridique à l'affacturage.